[2002] La Fabrication du consentement (Conclusion)

Pour résumer, les médias aux États-Unis sont de puissantes et efficaces institutions idéologiques qui accomplissent une fonction de propagande au service du système grâce aux mécanismes du marché, d’idées reçues intériorisées et d’autocensure, mais sans véritable coercition directe. Ce système de propagande est devenu d’autant plus efficace au cours des dernières décennies, à la suite du développement des réseaux de télévisions nationales, d’une concentration accrue des grands médias, des pressions de la droite sur les radios et télévisions publiques et de la croissance tant de la taille que de la sophistication, des relations publiques et de la gestion de l’information. Pour autant, le système n’est pas « tout-puissant ». […]

L’organisation et l’auto-éducation de groupes militants, au sein des différentes communautés ou sur le lieu de travail, leur militantisme et leur capacité à s’organiser en réseaux sont plus que jamais des éléments fondamentaux de la démocratisation de notre vie sociale et de toute perspective de changement social significatif. C’est seulement si de tels changements se produisent que l’on peut espérer assister à l’avènement de médias réellement libres et indépendants. […]

Dès lors que les aspects les plus négatifs de l’attitude des médias résultent principalement de leur structure même et de leurs objectifs, toute évolution réelle repose sur des changements de l’organisation qui les sous-tend et de ses objectifs.
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[2002] La Fabrication du consentement (Introduction)

Cet ouvrage est construit autour de ce que nous appelons un « modèle de propagande », une construction analytique dont l’objet est de tenter de rendre compte du fonctionnement des médias américains à partir des structures institutionnelles de base et du système de relations dans lesquels ils opèrent. Notre point de vue est que les médias, entre autres fonctions, jouent le rôle de serviteurs et de propagandistes des puissants groupes qui les contrôlent et les financent. Les porteurs de ces intérêts ont des objectifs précis et des principes à faire valoir, ils sont aussi en position d’infléchir et d’encadrer l’orientation des médias. Cela ne s’opère généralement pas au moyen d’interventions directes et grossières mais plutôt grâce à la sélection d’un personnel politiquement aux normes et l’intériorisation par les rédacteurs et les journalistes des priorités et des critères définissant ce qu’est une information valable en conformité avec les politiques de l’establishment. Lire la suite

[1979] La restructuration idéologique aux États-Unis

Les doctrines de la religion d’Etat n’ont pu survivre à la guerre du Vietnam du moins dans de larges segments de la population. Il en résulte une crise idéologique. Les fondements institutionnels autorisant les interventions contre-révolutionnaires de ces dernières années demeurent inébranlés, mais le système doctrinal qui a su fournir un soutien populaire aux croisades contre l’indépendance s’est effondré. Il s’agit, aujourd’hui, de le reconstruire. C’est un problème sérieux, car les interventions impériales, coûteuses matériellement et moralement, sont payées par la population. Les clercs au service de la religion d’Etat ont différentes méthodes pour le résoudre. Lire la suite

[1977] Stratégie pétrolière ou politique de paix ?

Le gouvernement Carter, pense-t-on communément, va faire du règlement du conflit israélo-arabe un des objectifs prioritaires de sa politique étrangère. Une des premières décisions du président a été d’envoyer le secrétaire d’Etat, M. Cyrus Vance, au Proche-Orient pour des entretiens avec les parties concernées, et, peu après, le premier ministre israélien, M. Itzhak Rabin, s’est rendu aux Etats-Unis. Les déclarations ambiguës faites à cette occasion par le président Carter sur la forme que pourrait prendre un règlement éventuel du conflit ont suscité de vives protestations tant en Israël que dans les Etats arabes. M. Rabin a déclaré à la télévision américaine que M. Carter avait demandé à Israël de restituer « plus de territoires [que] nous ne sommes prêts à en céder » et qu’« Israël ne retournera pas inconditionnellement aux positions tenues avant la guerre de 1967 ». La veille, le président Sadate avait rejeté la Proposition de M. Carter en termes non moins fermes, déclarant que « nous ne céderons pas un seul pouce de terre arabe » et que « les Israéliens doivent se retirer de tous les territoires occupés » . Lire la suite

[2003] L’Irak n’est qu’un galop d’essai

Noam Chomsky , professeur à l’université du Massachusetts Institute of Technology, fondateur des sciences modernes de linguistique et militant politique, est un des moteurs de l’anti-impérialisme aux États-Unis. Le 21 mars, il a discuté une demi-heure avec V. K. Ramachandran sur la guerre contre l’Irak Lire la suite

[2003] Le meilleur des mondes selon Washington

La guerre d’Irak n’est pas finie. Aux Etats-Unis, le président Bush a dû admettre que ses accusations contre Bagdad à propos d’achats d’uranium au Niger étaient fausses. Au Royaume-Uni, le suicide de David Kelly, qui avait dénoncé les « exagérations » introduites par M. Anthony Blair dans son rapport sur l’Irak, fragilise l’avenir du premier ministre. Petit à petit, les « mensonges d’Etat » des dirigeants de la « coalition » sont révélés au public. Enfin, sur le territoire irakien, les opérations se multiplient contre les forces d’occupation américaines qui essuient des pertes quotidiennes. Le Conseil de gouvernement instauré par l’administration que dirige M. Paul Bremer semble bien incapable de sortir le pays du chaos. Lire la suite

[1996] Double jeu américain en Colombie

Rien ne va plus officiellement entre Washington et Bogota : le président colombien Ernesto Samper, soupçonné d’avoir fait financer sa campagne électorale par les narcotrafiquants, vient d’être déclaré indésirable aux Etats-Unis. Ce rideau de fumée diplomatique, destiné, à quelques mois des élections américaines, à donner à l’opinion le sentiment qu’une lutte impitoyable est engagée contre la drogue, dissimule mal l’absence de mesures sérieuses contre les banquiers et industriels qui, aux côtés des cartels et mafias, tirent d’énormes bénéfices du trafic. Un trafic dont la répression est aussi, sinon surtout, un moyen de contrôle social des couches les plus pauvres de la société américaine. Lire la suite

[1976] Washington possède d’énormes réserves de puissance pour sauvegarder ses intérêts économiques dans le monde

L’article publié ici met en lumière la continuité de la politique étrangère des Etats-Unis. Les récentes déclarations de MM. Kissinger et Sonnenfeld sur l’Europe apparaissent ainsi dans la logique du grand dessein que l’Amérique, avant même son entrée dans la seconde guerre mondiale, s’appliquait à mettre au point pour assurer son hégémonie sur de vastes régions. Lire la suite

[2004] L’autisme de l’Empire

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les occupations militaires, même quand elles sont le fait des conquérants les plus brutaux, peuvent réussir. Prenons l’occupation par Hitler de l’Europe de l’Ouest ou celle par la Russie de l’Europe de l’Est dans l’après-guerre. Dans les deux cas, les pays occupés étaient dirigés par des collaborateurs disposant d’appareils locaux civils et militaires et simplement soutenus par les troupes du conquérant. Une résistance courageuse s’est développée contre Hitler, mais sans aide extérieure elle aurait été balayée. En Europe de l’Est (comme en Russie), les Etats-Unis ont tenté d’appuyer la résistance antisoviétique jusqu’au début des années 1950, sans succès. Lire la suite

[1975] Les États-Unis face au risque de guerre

Le « Jeu des nations » en Proche-Orient comporte de nombreux joueurs, et la plupart d’entre eux situent l’enjeu à un niveau très élevé. Tellement élevé, en fait, qu’ils accepteront virtuellement n’importe quel risque pour atteindre leurs objectifs nationaux. Ceci est vrai des deux nations dont le conflit local est au centre d’un complexe réseau d’intérêts et d’antagonismes – les juifs israéliens et les Arabes palestiniens – chacune d’elles revendiquant des droits nationaux sur un seul et même territoire. Mais ce n’est pas moins vrai des Etats impériaux : les principaux producteurs de pétrole ne peuvent guère se tenir à l’écart du conflit local, quelles que soient les tendances de leur groupe dirigeant : en conséquence, la structure sur laquelle est fondée la puissance du monde industriel sera nécessairement affectée, et elle peut même être déterminée par le dénouement du conflit. Lire la suite

[1970] Le Laos est devenu un champ d’expérimentation des techniques de lutte anti-insurrectionnelle

Quelles leçons les responsables de la politique américaine ont-ils tirées de la guerre d’Indochine ? La réponse aura, à n’en pas douter, des conséquences à longue portée. Et, sous ce rapport, leur expérience au Laos est d’une importance considérable. Si, en général, l’intervention américaine au Vietnam est considérée comme désastreuse, les opérations au Laos suscitent des réactions plutôt différentes.

Deux spécialistes de la contre-insurrection expliquaient récemment que « tous les dilemmes sont d’ordre pratique, aussi neutres, au sens éthique du terme, que les lois de la physique ». (1) Le problème, en bref, est purement technique. L’objectif est d’instaurer la domination de groupes sociaux sélectionnés dans la société où l’on se livre à une expérience de contre-insurrection. On dispose de toute une gamme de méthodes, allant du développement rural et des importations de denrées aux B-52 et aux destructions de récoltes : la tâche des responsables de la politique consiste à combiner ces méthodes de telle manière que les chances de maintenir l’ordre social autorisé soient les meilleures. Lire la suite

[2010] Se rappeler du fascisme : les leçons du passé

Je suis juste assez vieux pour avoir des souvenirs des discours d’Hitler à la radio il y a 75 ans. Je ne comprenais pas les mots, mais je pouvais facilement saisir la menace du ton et les acclamations de la foule. J’ai écrit mon premier article politique en février 1939, juste après la chute de Barcelone. Je suis sûr qu’il n’avait rien de mémorable. Je m’en souviens beaucoup moins que de l’ambiance de peur et d’appréhension qui régnait. L’article commençait avec ces mots: “L’Autriche tombe, la Tchécoslovaquie tombe, et maintenant Barcelone tombe” – et l’Espagne avec, quelques mois après. Les mots me sont toujours restés à l’esprit, tout comme l’angoisse, la perception des nuages sombres du fascisme se rassemblant sur l’Allemagne, puis l’Europe et peut-être au-delà, une force grandissante d’une inimaginable horreur. Lire la suite

[2010] L’aide pour le séisme d’Haïti devrait être distribuée aux organisations haïtiennes, pas aux ONG ni aux entrepreneurs

Noam Chomsky est un analyste et activiste qui soutient les haïtiens depuis des décennies. Outre sa carrière révolutionnaire en linguistique au MIT, il écrit, donne des conférences et proteste contre l’injustice depuis 40 ans. Il est le co-auteur, avec Paul Farmer et Amy Goodman, de « Faire réellement fonctionner Haïti cette fois-ci : les E.U. et le coup d’état ». Son analyse « La tragédie d’Haïti », incluse dans son livre de 1993, « Année 501 : la Conquête continue », est consultable ici. Cet entretien fut conduit fin février 2010 par téléphone et courriel. Il fut tout d’abord publié dans le magazine ¡Reclama!. L’intervieweur remercie Peter Hallward pour son aide. Lire la suite