[2008] Toutes les options sont sur la table ?

Par Noam Chomsky

Retour Khaleej Times (Dubaï), 5 aout 2008 Imprimer

Les menaces et les contre-menaces en matière nucléaire sont le sous-entendu de notre époque et, à ce qu’il paraît, elles se font plus insistantes. La réunion de juillet à Genève entre l’Iran et six puissances mondiales sur le programme nucléaire iranien s’est conclue sans progrès. Le gouvernement de George W Bush a été loué pour avoir adopté un ton plus conciliant, pour avoir permis qu’un diplomate américain assistât à la réunion, bien que sans y participer Et l’Iran a été critiqué et accusé de n’avoir pas négocié avec le sérieux requis. Et les puissances ont averti Téhéran qu’il pourrait devoir faire face à des sanctions plus sévères à moins qu’il ne mette de fin à son programme d’enrichissement d’uranium.

Entre-temps, l’Inde a été applaudie pour accepter un pacte nucléaire avec les États-Unis qui l’autorisent à développer des armes nucléaires en dehors des contrôles du Traité de Non prolifération Nucléaire (TNPN).

Ces armes seront développées avec l’aide des États-Unis, assorties d’autres récompenses. En particulier une prime à la fleurissante démocratie de l’Inde bénéficiera aux entreprises des États-Unis anxieuses d’investir dans marché indien de développement d’armes atomiques et à ses gros bénéfices selon les législateurs qui ont rédigé l’accord.

Michael Krepon, cofondateur du Centre Stimson et l’un des principaux spécialistes en menaces nucléaires, a remarqué d’une manière tout à fait raisonnable que la décision de Washington « place les profits au-dessus de la non prolifération ». Cela pourrait signifier la fin du TNPN si d’autres adoptent les mêmes règles, en augmentant d’une manière drastique les dangers dans le monde.

Durant la même période, Israël, un autre pays qui a défié le TNPN avec l’appui de l’Occident, a réalisé de grandes manœuvres en méditerranée orientale que l’on peut considérer comme étant une répétition générale avant l’attaque des installations nucléaires iraniennes.

Dans un article à la une du The New York Times, intitulé « Utiliser des bombes pour éviter une guerre », l’éminent historien israélien Benny Morris a écrit que les leaders iraniens devraient remercier qu’Israël utilise des bombes conventionnelles, puisque « l’alternative est un Iran transformé en friche nucléaire ».

D’une manière consciente ou non, Morris est en train de réactualiser une histoire ancienne. Durant la décennie des années 50 du siècle passé, d’importantes personnalités du gouvernant de l’époque, le Parti Travailliste d’Israël, avaient envisagé, dans des discussions internes, “d’aller jusqu’à la folie”, et ils ont menacé d’abattre les murs du temple en imitant le premier “attentat suicide”, le vénéré Samson, qui a tué plus de Philistins avec son suicide que dans toute sa vie. (1)

Les armes nucléaires d’Israël nuisent peut-être à sa propre sécurité, comme le remarque d’une manière persuasive l’expert en stratégie Zeev Maoz. Mais la sécurité n’est pas nécessairement quelque chose que les planificateurs étatiques considèrent être grande priorité, comme l’enseigne l’histoire. Et le « Complexe de Samson », comme les communicateurs israéliens l’appellent, peut être mis en avant pour avertir le maître qu’il doit mener à bien l’œuvre impérative de détruire l’Iran ou dans le cas contraire les Israéliens enflammeront la région et peut-être le monde.

Le complexe de Samson, renforcé par la doctrine de « tout le monde est contre nous » ne peut être traité à la légère. Peu après l’invasion de 1982 au Liban, qui laissa entre 15 000 et 20 000 morts dans l’effort pour assurer le contrôle des territoires occupés en partie par Israël, Aryeh Eliav, un des plus fameux pacifistes d’Israël a écrit que l’attitude de ceux qui « ont apporté le complexe de Samson ici, selon lequel nous devons tuer et enterrer tous les gentils en mourrant avec eux », est un type de « folie » assez répandue. Il en est encore ainsi.

Les analystes militaires des Etats-Unis l’ont reconnu. Comme l’a affirmé le lieutenant colonel de l’armée Warner Farr en1999, un des « objectifs des armes nucléaires israéliennes, pas toujours remarqué, bien qu’il soit un palliatif, est de faire savoir aux États-Unis qu’Israël peut s’en servir ». Peut-être pour assurer l’appui constant des États-Unis à la politique israélienne. Ou dans le cas contraire, oser aller jusqu’au bout des conséquences.

D’autres voient les dangers poindre. Le général Lee Butler, un ex-commandant en chef du Commandement Stratégique des États-Unis, a dit en 1999 ce qui « est dangereux dans ce chaudron de haine que nous appelons le Moyen-Orient, est qu’un pays s’arme de manière ostensible avec des arsenaux d’armes nucléaires […] et qu’il incite d’autres pays à faire le même ». Ce fait peut difficilement être considéré comme dénué de pertinence eut égard aux préoccupations sur le programme nucléaire de l’Iran, mais il n’est pas à l’ordre du jour.

Est également exclu de l’ordre du jour l’article 2 de la Charte de Nations Unies, article qui interdit l’usage de la force sur les questions internationales. Tant les États-Unis que les partis politiques proclament d’une manière insistante sa criminalité, après que Georges Bush ait réafirmé que « toutes les options sont sur la table » concernant les programmes nucléaires de l’Iran.

Certains vont plus loin, comme John McCain, qui a plaisanté sur le côté amusant d’un bombardement de l’Iran et le fait de tuer les Iraniens ([Ndt] « Vous connaissez cette vieille chanson des Beach Boys, “Bomb Iran, bomb, bomb, bomb“, a chanté John Mc Cain sur le thème de Barbara Ann, modifiant les paroles ») même si la plaisanterie n’est peut-être pas très bien reçue par ces peuples invisibles du monde qui, selon l’historien britannique Mark Curtis, ne méritent pas l’attention des privilégiés et des puissants.

Barack Obama déclare pour sa part qu’il fera « tout ce qui est dans mon pouvoir » pour éviter que l’Iran réussisse à produire des armes nucléaires.

Le choeur des lamentations sur les nouveaux Hitler de Téhéran et la menace qu’ils font peser sur la souveraineté d’Israël a connu quelques voix discordantes. Ephraim Halevy, un ex-chef du Mossad, le service d’intelligence israélienne, a avertit récemment qu’une attaque israélienne sur l’Iran « pourrait avoir un impact dans notre pays sur les 100 années suivantes ».

L’un des participants à la réunion de juillet a été le ministre des affaires étrangères de l’Égypte, Ahmed Aboul Gheit, qui a esquissé la « position arabe » : « travailler vers un accord politique et diplomatique grâce auquel l’Iran jouira du droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ».

La « position arabe » est partagée par le Mouvement de Pays Non alignés. Le 30 juillet, ses 120 membres ont réitéré le droit de l’Iran à enrichir l’uranium conformément au TNPN.

La majorité des estadunidenses appuient aussi cette position, selon les enquêtes, et ils appuient la « position arabe » qui propose une zone libre d’armes atomiques dans toute la région. Voilà qui réduira radicalement les menaces, mais cela ne figure pas dans l’ordre du jour des puissants. Et voilà qu’on ne peut pas non plus le mentionner dans les campagnes électorales.

Benny Morris nous assure que « chaque service d’intelligence en monde croit que le programme iranien a comme but la fabrication d’armes ». Comme cela est bien connu, l’estimation du service national d’intelligence des États-Unis, qui a été répandu en novembre 2007, a expliqué qu’il existait « une grande assurance sur le fait que dans le dernier trimestre de 2003 Téhéran avait interrompu son programme d’armes nucléaires ».

Peut-être Morris est au courant d’informations de sources israéliennes de Renseignement. Et il généralise jusqu’à parler « chaque agence de renseignement » du monde.

Il se dit dans les cercles néo-conservateurs que si Barack Obama gagne les élections, le duo Bush-Cheney devrait bombarder l’Iran, puisque la menace iranienne est trop grande pour la laisser aux mains d’un démocrate timoré. Existent également des versions circulant dans la presse — récemment de Seymour Hersh dans The New Yorker — sur des « opérants cachés » des États-Unis à l’Iran, une méthode qui est aussi connue comme relevant du terrorisme international.

En juin, le Congrès des États-Unis a été sur le point d’approuver une résolution (H. con. Res. 362), vigoureusement appuyée par le lobby israélien, exigeant le blocus virtuel de l’Iran. Il s’agit d’un acte de guerre qui pourrait entraîner une conflagration à une échelle internationale. Des pressions du mouvement pacifiste semblent avoir battu cette tentative particulière, selon Mark Weisbrot dans Alternet.org, mais sûrement d’autres suivront.

Le gouvernement de l’Iran mérite une condamnation sévère pour beaucoup de choses, mais la menace iranienne n’est rien d’autre qu’une construction désespérée de la part de ceux qui s’arrogent le droit de régir le monde, et qui considèrent n’importe quel obstacle à son juste gouvernement comme une agression criminelle. C’est la menace principale qui doit nous préoccuper, comme elle préoccupe les esprits les plus sains de l’Occident et les peuples du reste du monde.

(1) Samson était un des Juges d’Israël celèbre pour sa force herculéenne qui dépendait de sa chevelure, il était la terreur du peuple philistin avec lequel Israël était en guerre. La belle Dalila le séduisit et le tondit. Enfermé, enchainé dans un temple philistin, avec sa chevelure il retrouva sa force et en faisant tomber les colonnes, il provoqua l’écroulement du temple et l’écrasement de nombreux philistins et de lui-même.

© Noam Chomsky


Traduit par Danielle Bleitrach pour http://socio13.wordpress.com


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