[2007] Et si l’Iran avait envahi le Mexique ?

Par Noam Chomsky

Retour TomDispatch, 5 avril 2007 Imprimer

ARTICLE TRADUIT DE FACON INCOMPLETE – aide bienvenue pour terminer ;o)

[…] Il est utile de se demander comment nous agirions si l’Iran avait envahi et occupé le Canada et le Mexique, et commençait à y enlever des représentants du gouvernement américain, sous prétexte qu’ils résistaient à l’occupation iranienne (appelée « libération », bien sur).

Imaginez également que l’Iran déploie massivement des forces navales dans les Caraïbes et profère des menaces crédibles de lancer une série d’attaques contre un grand nombre d’installations — nucléaires et autres — aux États-Unis, si le gouvernement n’arrêtait pas immédiatement tous ses programmes d’énergie nucléaire (et, naturellement, ne démantelait pas toutes ses armes nucléaires).

Supposez que tout ceci se soit produit après que par le passé l’Iran ait renversé le gouvernement des États-Unis et ait installé un tyran sanguinaire (comme les États-Unis l’ont fait en Iran en 1953 lorsqu’ils ont renversé Mossadegh), puis plus tard ait soutenu une invasion russe des États-Unis qui a entraîné la mort de millions de personnes (tout comme l’invasion de l’Iran par Saddam Hussein soutenu par les États-Unis en 1980, a tué des centaines de milliers d’Iraniens, un nombre comparable à plusieurs millions pour les Américains).

Serions nous en train de nous contenter d’observer « tranquillement » ?

On peut aisément comprendre pourquoi l’un des principaux historiens d’Israël, Martin van Creveld a fait l’observation suivante : après que les États-Unis aient envahi l’Irak, les sachant sans défense, il avait alors déclaré, « les Iraniens seraient fous de ne pas avoir essayé de développer des armes nucléaires ».

Bien sûr, aucune personne sensée ne veut que l’Iran (ou toute autre nation) développe des armes nucléaires. Une résolution raisonnable de la crise actuelle permettrait à l’Iran de développer l’énergie nucléaire, en accord avec ses droits selon les termes du Traité de non-prolifération, mais pas d’armes nucléaires.

Cette sortie de crise est-elle possible ? Elle le serait, mais à une condition : que les États-Unis et l’Iran soient des sociétés observant les règles démocratiques dans lesquelles l’opinion publique a un impact significatif sur les politiques menées par le gouvernement.

En l’état de choses, cette solution a le soutien de la grande majorité des Iraniens et des Américains, qui partagent en général le même avis sur les questions nucléaires.

Ce consensus irano-américain inclut : l’élimination complète et généralisée des armes nucléaires (82% des américains) ; toutefois, si cela ne pouvait encore être réalisé en raison de l’opposition de l’élite, alors ils sont favorables au minimum à la création « d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient devant inclure aussi bien Israel que les pays musulmans » (71% des américains).

Soixante-quinze pour cent des américains préfèrent l’établissement de meilleures relations avec l’Iran plutôt que le recours aux menaces d’utilisation de la force. En bref, si l’opinion publique avait une influence significative sur la politique étrangère américaine et iranienne, la résolution de la crise serait possible, apportant des solutions de bien plus grande envergure quant au défi nucléaire global.

Ces faits suggèrent une voie possible pour empêcher la crise actuelle d’éclater, peut-être même sous la forme d’une sorte de IIIème guerre mondiale. Cette menace effrayante pourrait être évitée en mettant en oeuvre une mesure souvent évoquée : la promotion de la démocratie —mais cette fois chez nous, où elle est sacrément nécessaire.

La promotion de la démocratie chez nous est certainement faisable et, bien que nous ne puissions pas mettre directement en marche un tel projet en Iran, nous pourrions agir afin d’améliorer les positions des réformateurs et des courageux opposants qui cherchent justement à y parvenir.

Parmi de telles personnalités, qui sont, ou devraient être, bien connues, se trouveraient Saïd Hajjarian, la lauréate du prix Nobel Shirin Ebadi et Akbar Ganji, ainsi que ceux qui comme d’habitude restent inconnus, parmi eux les militants ouvriers dont nous entendons très peu parler à l’image des éditeurs du Iranian Workers Bulletin par exemple.

Nous pourrions bien mieux améliorer les perspectives de promotion de la démocratie en Iran en changeant radicalement notre politique de sorte qu’elle reflète l’opinion populaire. Cela nécessiterait de mettre un terme à ces menaces régulières qui sont un cadeau fait aux jusqu’au boutistes en Iran.

Ceux-ci sont d’ailleurs sévèrement condamnés par les Iraniens qui sont réellement préoccupés par la promotion de la démocratie. Différents en cela de ses « défenseurs » en Occident qui agitent des slogans en sa faveur et sont applaudis pour leur « idéalisme », bien que la réalité de leurs pratiques témoigne clairement de leur haine viscérale de la démocratie.

Promouvoir la démocratie aux États-Unis pourrait avoir des conséquences bien plus vastes. En Irak, par exemple, un calendrier ferme de retrait pourrait être mis en oeuvre immédiatement, ou très rapidement, en accord avec la volonté de la grande majorité des irakiens et d’une majorité significative d’Américains.

Les priorités budgétaires fédérales en seraient pratiquement inversées. Là où les dépenses augmentent, comme dans les dépenses militaires supplémentaires pour mener les guerres en Irak et en Afghanistan, elles diminueraient brusquement. Là où les dépenses stagnent ou diminuent (santé, éducation, formation au travail, promotion de des économies d’énergie et des sources d’énergie renouvelable, programmes sociaux en faveur des anciens combattants, fonds en faveur de l’ONU et des opérations de maintien de la paix de l’ONU, et ainsi de suite), elles augmenteraient radicalement. Les réductions d’impôts de Bush pour les contribuables avec des revenus de plus de 200 000 dollars par année seraient immédiatement annulées.

Les États-Unis auraient du adopter un système national de soins de santé il y a bien longtemps, en rejetant le système privé dont le coût par habitant est deux fois plus élevé que celui observé dans des sociétés comparables et dont les résultats sont parmi les plus mauvais dans les pays industrialisés. Ils auraient du rejeter ce qui est largement considéré par les observateurs attentifs comme étant en réalité « catastrophe fiscale ». Les États-Unis auraient du ratifier le protocole de Kyoto pour réduire les émissions de dioxyde de carbone et prendre des mesures plus fortes pour protéger l’environnement. Cela permettrait à l’ONU de monter en première ligne lors des crises internationales, y compris en Irak.

Après tout, quelque temps après l’invasion de 2003 les sondages d’opinion ont révèlé qu’une grande majorité d’Américains désirent que ce soit l’ONU qui s’occupe de la transformation politique, la reconstruction économique, la sécurité intèrieure dans ce pays.

Si l’opinion publique était prise en compte, les États-Unis accepteraient les restrictions de la charte de l’ONU sur l’utilisation de la force, contrairement au consensus bipartisan en vigeur dans ce pays voulant que seul les États-Unis aient le droit de recourir à la violence en réponse à des menaces, qu’elles soient potentielles, véritables ou imaginaires, y compris des menaces à notre accès aux marchés et aux ressources.

Les États-Unis (avec d’autres) abandonneraient le pouvoir de veto au Conseil de sécurité et accepteraient l’opinion de la majorité même lorsqu’elle est en opposition avec elle. On permettrait à l’ONU de réguler les ventes d’armes ; tandis que les États-Unis réduiraient de telles ventes et inviteraient d’autres pays à en faire faire autant, ce qui représenterait une contribution majeure à la réduction de la violence à grande échelle dans le monde.

Le terrorisme serait combattu par des mesures diplomatiques et économiques, non par la force, en accord avec le jugement de la plupart des spécialistes en la matière mais la encore en opposition complète avec la politique actuelle.

En outre, si l’opinion publique influençait la politique, les États-Unis auraient des relations diplomatiques avec Cuba, au bénéfice des peuples des deux pays (et, incidemment, a l’agrobusiness des États-Unis, aux sociétés d’énergie, et a d’autres), au lieu de faire cavalier seul dans le monde en imposant un embargo (suivi seulement par Israël, la République de Palau, et les Îles Marshall).

Washington adhérerait au large consensus international sur un règlement du conflit israélo-Palestinien grâce a l’instauration de deux états, qu’elle bloque depuis trente années (avec l’appui d’Israël) — à de rares exceptions prés — et qu’elle bloque toujours dans l’esprit, et plus encore dans la lettre, en dépit de ses déclarations fallacieuses sur son engagement en faveur d’une solution diplomatique.

Les États-Unis apporterait aussi une aide égale à Israël et la Palestine, coupant l’aide à l’une ou l’autre partie si elle en venait à rejetter le consensus international.

Les faits qui viennent à l’appui de toutes ces affirmations sont passées en revue dans mon livre, : Failed States : The Abuse of Power and the Assault on Democracy, ainsi que dans The Foreign Policy Disconnect de Benjamin Page (avec Marshall Bouton), qui fournit également des preuves abondantes sur le fait que sur les questions de politique étrangère (et probablement interne), l’opinion publique tend à être cohérente sur de longues périodes. Les études d’opinion publique doivent être considérées avec prudence, mais elles sont certainement indicatrices.

La promotion de la démocratie chez nous, bien que n’étant pas une panacée, serait une étape utile dans l’aide à apporter à notre pays pour qu’il devienne « un dépositaire responsable » de l’ordre international (pour adopter les termes utilisés pour les adversaires), au lieu d’être un objet de crainte et d’aversion dans une grande partie du monde. Indépendamment d’être une valeur en soi, une démocratie réellement appliquée chez nous, est véritablement prometteuse pour traiter de manière constructive de nombreux problèmes actuels, internationaux et internes, y compris ceux qui menacent littéralement la survie de nos espèces.

© Noam Chomsky


Traduit par Karim Loubnani pour Contre Info


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