[2003] Les États-Unis ont besoin de quelque chose pour la prochaine élection présidentielle…

Noam Chomsky interviewé par Atilio A.Boron

Retour ZMag (USA) , 14 juin 2003Imprimer

Les États-Unis ont besoin de quelque chose pour la prochaine élection présidentielle et pour cela ils continueront leurs aventures belliqueuses.

Atilio A. Boron : Si on examine les récentes politiques des USA en relation avec l’Irak, quels sont selon vous les véritables objectifs de cette guerre ?

Noam Chomsky : Bien, nous pouvons être au moins complétement assurés d’une chose c’est que les raisons qui ont été avancées ne sont pas les “véritables” raisons. .Nous le savons parce qu’elles sont pleines de contradictions. Un jour Bush et Powell affirment que l’unique problème est de savoir si l’Irak désarme ou non. Le jour suivant ils disent qu’importe peu le désarmement de l’Irak puisque de toute façon, ils envahiront. Peu après, ils disent que si Saddam et son entourage quittent l’Irak alors le problème sera résolu . Et le jour suivant , au sommet des Acores, quand ils ont lancé leur ultimatum aux Nations Unis, ils ont dit que même si Saddam et sa bande sortaient d’Irak, ils envahiraient de tout façon. Et ils ont continué comme ça tout le temps. Quand des propositions contradictoires était apportées en réponse à ce qu’ils disaient la seule chose qu’ils trouvaient à répondre était :”Nous ne croyons pas un mot de ce qu’il dit”.

De telle sorte que nous pouvons rejeter les dites “raisons officielles” de l’invasion.

Je crois que les véritables motifs ne sont pas très obscurs ni difficiles à comprendre. En premier lieu, il existe depuis longtemps un intérêt pour cette zone. Ceci n’explique pas le moment choisi pour l’invasion mais nous éclaire définitivement sur les intérêts fondamentaux qui la motivent.Je fais référence au fait que l’Irak possède la seconde réserve de pétrole du monde et, en ce sens, contrôler le pétrole irakien et, de surcroît , établir des bases militaires nord américaine en Irak, placeraient les États Unis dans une position plus forte qu’aujourd’hui pour dominer le système énergétique international. Ceci est en soi, extrêmement important en vue du contrôle mondial et l’accumulation de profits qui dériveront d’une telle domination. Probablement les États Unis n’essayent pas de s’approprier pour leur usage le pétrole irakien, peut-être qu’ils prétendent utiliser pour eux-mêmes les bassins pétrolifères de l’hémisphère occidental, de l’Afrique. Cependant contrôler l’approvisionnement mondial du pétrole a toujours été l’axe directif de la politique des États-unis depuis la seconde guerre mondiale, et l’Irak est particulièrement essentiel sous cet angle. De sorte qu’il y a là depuis longtemps un intérêt majeur. Cependant cela n’explique pas le choix de ce moment pour l’invasion.

Si nous voulons comprendre le moment, ou l’opportunité de l’invasion, il est nécessaire de se rappeler qu’en septembre 2002 a commencé une campagne massive de propagande en faveur de la guerre. Avant cette date le régime irakien était critiqué d’une manière acerbe mais il n’y avait pas de projet de développer dans la population nord américaine une fibre belliciste. C’est pour cela que nous devons nous interroger sur ce qu’il est advenu de plus en septembre 2002. Deux choses importantes ont eu lieu.
La première fut l’ouverture de la campagne pour les élections législatives à mi-chemin du mandat présidentiel de George W. Bush. Monsieur. Karl Rove -son chef de campagne- expliqua clairement ce qui devait être oublié par tout le monde : qu’il ne serait pas possible pour les Républicains d’entrer en campagne avec un programme qui tournerait autour des thèmes économiques et sociaux. La raison en était que l’administration Bush avait mené une politique absolument préjudiciable à la majeure partie de la population et favorable seulement à un petit groupe de grandes entreprises et aux secteurs corrompus les plus proches du pouvoir. Ce motif était suffisant pour ne pouvoir affronter l’électorat avec des propositions économiques et sociales. Aussi comme Rove l’a dit, si nous pouvions faire de la sécurité nationale le thème prioritaire de la campagne alors nous serons en capacité de gagner parce que les gens-comme vous le savez- s’agglutinent autour du pouvoir s’ils se sentent menacés. Et cette conviction est devenue “une seconde nature” chez les actuels dirigeants nord américains. Ces gens ont dirigé le pays depuis les années quatre vingt avec un programme de politique intérieure très anti-populaires mais toujours disposés à presser le bouton de la panique de masse d’un autre côté. Les exemples utilisés varient – les menaces peuvent être le Nicaragua, Grenade, le crime, l’insécurité urbaine, etc…- mais toujours ils provoquent l’insécurité de la population nord américaine. Rove aussi pronostiqua que stratégie semblable serait nécessaire pour la future élection présidentielle.

Tout ceux qui antérieurement cherchèrent à agir ainsi le firent non seulement pour conserver leur poste mais en voulant institutionnaliser, dans les affaires intérieure, un programme de gouvernement hautement régressif qui leur permettait de supprimer tous les vestiges d’une politique social démocrate dans le style du New Deal, en convertissant le pays en une société non démocratique et passive, contrôlée totalement par un secteur capitaliste très concentré et puissant. Ce qui impliquait par exemple de revenir sur les acquis publics dans la santé, Sécurité sociale, probablement l’éducation et dans le même temps aller vers une énorme augmentation du pouvoir d’Etat. Ces groupes dominants ne sont pas des conservateurs au sens traditionnel du budget fédéral, ils amènent le pays à contracter un déficit fiscal énorme grâce à la plus grande augmentation du budget fédéral des 20 dernières années et les fabuleuses réductions d’impôts en faveur des riches et c’est cela qu’il cherchaient précisément à institutionnaliser dans leur projet. Ce qu’ils cherchent alors est un désastre fiscal qui rende impossible le financement des mesures sociales.
Ils savent qu’ils ne peuvent affronter une élection en déclarant qu’ils cherchent à détruire les programmes d’aide à la population, mais s’ils peuvent lever les mains en l’air avec désespoir et déclarer : “Que pouvons nous faire si nous n’avons pas d’argent ?” Une fois qu’ils se sont assurés les moyens pour les grandes réductions d’impôts consenties aux riches et les forts investissement dans les dépenses militaires (incluant les industries de “hautes technologies”) et autres programmes en faveur des grandes entreprises et les riches.Ceci est, par conséquent , le second aspect à prendre en compte et qu’il faut voir comme un des aspects réussis de la campagne de propagande lancée par le gouvernement.

Cette campagne médiatique, qui commença en septembre 2002, convainquit rapidement la plus grande partie de la population que l’Irak représentait une menace pour la sécurité des États-Unis et également que ce pays était responsable des attentats du 11 septembre. Certes il n’existait pas le moindre grain de vérité dans tout cela, mais pour l’heure la majorité de la population croyait en de telles histoires et ces attitudes débouchèrent sur un fort mouvement en faveur de la guerre, ce qui est bien compréhensible.
Si les gens croient qu’il y a un ennemi qui veut les détruire et qu’ils vont être attaqués il est probable qu’ils accepteront de faire la guerre.
En effet si vous regardez sur les journaux des articles en train de dire aux soldats : “Nous sommes ici pour venger, ils savent, parce qu’ils ont volé dans les World Trade Center, ou parce qu’ils nous ont attaqués” ou d’autres choses semblables . Ces croyances étaient complétement propres aux USA. je veux dire que personne dans le monde croyait dans des histoires pareilles. Il y a pas mal de gens au Koweït ou en Iran qui haïssent Saddam Hussein, mais ils ne le craignaient pas, parce qu’ils savaient que son pays était le plus affaibli de la région. De toute manière, la campagne médiatique gouvernementale a fonctionné brillamment , en terrorisant la population jusqu’à lui faire accepter la guerre alors qu’avant il existait une forte opposition à l’option belliciste. Ce fut alors le second facteur qui explique le moment choisi pour l’invasion.

Finalement, il y avait un troisième facteur , cette fois plus important que les autres. En septembre de 2002, le gouvernement a annoncé la nouvelle stratégie de sécurité nationale. Celle-ci n’était pas une mesure sans précédent dans ses contenus, mais elle l’était en tant que formulation officielle de la politique de l’Etat. Ce qui était annoncé était que les USA se devaient de détruire le système de droit international dans sa totalité et la fin de la charte des Nations Unies et que les USA mèneraient une guerre agressive- qu’ils appelaient “préventive” – là et quand ça leur paraîtrait opportun et qu’ils gouverneraient le monde par la force. Et en plus, nous serions sûrs qu’il n’existerait aucun défi à notre domination, parce que nous sommes tellement supérieur en matériel militaire que nous anéantirions quiconque tenterait de défier notre primauté.

Comme on peut l’imaginer, cette déclaration fit passer un frisson sur le monde et un tremblement d’effroi à l’élite diplomatique nord américaine.
Pareilles choses avaient été entendue dans le passé mais jamais elles avaient été formulées comme la politique officielle des États Unis.Je suppose qu’il faudrait que nous remontions jusqu’à Hitler pour trouver une analogie à cette situation. Maintenant bien, quand quiconque propose de nouvelles règles et de nouvelles politiques pour les relations internationales, il faut qu’il les illustre, il faut qu’il soit sur que les gens ont compris ce qu’il disait. En plus il doit y avoir ce qu’un historien de Harvard a appelé une “guerre exemplaire”, une guerre modèle, qui démontre réellement que nous ferons ce que nous disons.

Pour cela il est nécessaire de disposer d’une cible ou d’une victime appropriée, et celle-ci doit réunir divers attributs. En premier lieu, il doit s’agir d’un objectif complétement sans défense. Personne ne choisirait une cible capable de se défendre, ce serait imprudent. Irak remplissait cette condition d’une manière exemplaire ; il était devenu le pays de la région le plus faible et il était dévasté par les sanctions prises à son encontre et complétement désarmé. De plus les États Unis avaient scruté chaque pouce du territoire irakien depuis les satellites, avaient effectué des survols d’espionnage et plus récemment avec des U-2. Alors oui l’Irak est extrêmement faible et satisfait la première condition.

En second, il doit s’agir d’un objectif important et valable. Cela manquerait de sens d’envahir le Burundi , par exemple ; la cible doit être un pays que, par ses ressources et ses richesses, vaut la peine d’être dominé. L’Irak satisfait aussi cette deuxième condition. Comme je l’ai mentionné , il s’agit du second plus grand producteur pétrolier au monde, il est l’exemple parfait et un cas idéal pour cette “guerre exemplaire”, dont le fond sera de mettre le monde en garde sur le fait que nous sommes disposés à agir dans le moment que nous choisirons. Nous avons le pouvoir et nous déclarons que notre objectif est la domination par la force et qu’aucun défi à notre domination ne sera toléré. Nous avons démontré que c’est ainsi et que nous sommes prêts pour le suivant. Nous procéderons, alors, à notre prochaine opération. Avant cette série de conditions, la guerre apparaissait comme une très raisonnable alternative entre les effets et quelques commencements de preuve.

Atilio A. Boron : Maintenant, si nous sommes d’accord avec votre analyse, quel régime sera le prochain objectif ? Parce que je retire de ce que vous avez dit que les USA ne s’en tiendront pas à l’Irak, ou si ?

Chomsky : Non il ne s’en tiendront pas là. Ils en ont besoin pour la prochaine élection présidentielle, et à cause de cela ils poursuivront leurs aventures belliqueuses. Durant ses douze premières années de gouvernement (1980-1992) c’est ce qui s’est passé et ainsi c’est ce qui se passera jusqu’à ce qu’ils réussissent à institutionaliser les politiques intérieures visées plus haut et à disposer d’un système international correspondant à leurs plans. De sorte que l’on peut se demander quelle est la prochaine cible ? Bon, le prochain objectif doit réunir des conditions similaires à celles mentionnées ultérieurement. Il doit être suffisamment de valeur et sans défense pour être attaqué. Il existe plusieurs options.
La Syrie est une possibilité. Israël serait ravi de participer. Israël est un tout petit pays mais du point de vue puissance c’est une véritable base militaire “off shore” des USA, de telle sorte qu’il détient une force militaire énorme avec des centaines d’armes nucléaires (et probablement certains types d’armes chimiques et biologiques). Ses forces aériennes et terrestres sont plus importantes et plus avancées que tous ceux des pays qui forment l’OTAN, et les États-Unis sont derrière tout cet énorme appareil militaire.

C’est pourquoi la Syrie est une possibilité. L’iran est une autre option bien que plus difficile parce que c’est un pays qu’il est compliqué à dominer et à contrôler. Cependant il existe une raison de croire que depuis un ou deux ans la voie du démantèlement de l’Iran est en marche, de le fracturer en groupes irréconciliables. Ces opérations orchestrées depuis les bases nord américaines des provinces orientales de Turquie, de la sont partis également les vols de reconnaissance et d’espionnage sur la frontière iranienne. De sorte qu’il y a là une autre possibilité. La troisième possibilité qui ne peut être considérée à la légère est la région Andine. Il s’agit d’une zone qui possède de grandes ressources et qui sont hors contrôle dans des pays comme la Colombie, le Vénézuela et probablement l’Equateur. Il existe des bases militaires tout autour de la zone, et les forces des USA se sont installées là. Le contrôle de l’Amérique latin est extrêmement importante, évidement, spécialement avec les événements qui se passent au Vénézuela, Colombie, Équateur, Brésil et Bolivie. Il est clair que la domination des USA est menacée et ceci ne peut être toléré, en particulier dans une région aussi proche et essentielle par la richesse de ses ressources nationale. Alors c’est une autre possibilité.

Atilio A. Boron : Tout cela est très préoccupant. La question alors est : ’”Croyez-vous que ce qui se passe en Irak, l’invasion et ses conséquences, affecteront d’une manière irréversible la stabilité politique du Moyen-orient ? Quels seront les probables “effets collatéraux” de cette invasion dans des pays fragilisés par la fragilité de leur système politique, comme par exemple l’Arabie saoudite, la Syrie, l’iran ou encore les territoires Kurdes. Qu’adviendra-t-il du problème de la Palestine, qui est le noeud politique de la région ?

Chomsky : Ce qu’il adviendra dans le monde arabe est extrêmement difficile à prédire . C’est un monde désorganisé et chaotique, ou existent des régimes hautement autoritaires et brutaux. Nous ne savons pas quelles sont les attitudes populaires les plus fortes. Je peux dire, les USA sont très préoccupés à propos des attitudes qui prévalent dans la région et les académies nord américaines spécialisées dans les pays du Moyens orient ont réalisé des enquêtes assez bonnes sur la zone et leurs résultats sont dramatiques. une des études les plus récentes, de l’Université du Maryland, portant depuis le Maroc jusqu’au Golfe Persique et au Liban . Dans cette zone, une majorité écrasante de la population manifeste le désir que les leaders religieux aient un rôle plus important dans les gouvernements. Un pourcentage semblable, de l’ordre de 95%, croie que l’unique intérêt nord américain pour la région est d’avoir accès au pétrole,et de fortifier Israël et la possibilité d’humilier les Arabes. Il s’agit d’une opinion quasi unanime. Aussi, s’il existe une quelconque expression populaire qui peut surgir dans la région, ou un quelconque type de mouvement démocratique, il pourra se convertir en une chose semblable à ce que nous connaissons en Algérie depuis dix ans. Ce ne sera pas nécessairement un gouvernement islamiste radical en tout cas un courant islamiste plus énergique que celui qui actuellement existe en divers pays. Je crois que ce serait le dernier souhait des USA, toute alternative d’ouverture démocratique se transformera immédiatement en une féroce opposition à la Maison Blanche. Mais les voix en faveur d’une démocratie laïque sont également hostiles aux USA. Si elles pouvaient parler, librement, par exemple, sur la violation des résolutions des Nations Unies, ces voix présenteraient le cas d’Israel qui bat les records de l’Irak en cette matière. Mais, il est clair qu’Israel jouit de la protection des États-Unis. Ces voix-là aussi exprimeraient leur préoccupation pour l’indépendance, que les États Unis ne favorisent pas, de sorte que l’on pourra en déduire que Washington continuera à appuyer les régimes non-démocratiques et oppressifs comme par le passé, et de la manière dont cela se passe en Amérique latine depuis de nombreuses années, à moins que l’on puisse leur garantir que les nouveaux gouvernements s’ajusteront strictement sur les priorités de Washington.

D’un autre côté ces mouvements populaires du monde arabe sont si chaotiques qu’il est difficile d’en prévoir les résultats. On peut dire que ceux qui participent à ceux-ci ne savent ou ne peuvent savoir ce qu’ils cherchent exactement ; mais nous savons que la tragique haine, le conflit et la peur- probablement comme jamais auparavant-existent en relation avec les États-Unis. Le problème israelo-palestinien est, on peut en faire l’hypothèse, le problème crucial dans le monde arabe. L’administration Bush devrait avoir soin d’y prendre garde, et de ne pas prendre position pour aucune partie. Cependant ses actions sapent les perspectives d’une résolution pacifique du conflit. Par exemple , par le financement de nouveux programmes d’installation des Israéliens dans les territoires arabes.

C’est pour cela que nos gouvernants ne disent rien. Ils disent à chaque fois “nous avons une vision” sans le moindre sens. Pendant que le silence officiel contraste avec l’appui effectif aux positions les plus extrémistes d’Israel. Parmi elles ce que la presse a signalé comme l’expression la plus significative de George Bush – redite un peu plus tard par Collin Powell- fut que la colonisation des territoires arabes occupés continuerait jusqu’à ce que les États-Unis déterminent les conditions pour la paix sont réunies, et puisse avancer dans sa mythique “feuille de route” tracée Washington.

Cette affirmation qui fut saluée comme “significative” implique de fait,un changement de politique d’une direction chaque fois plus extrémiste.
Jusqu’à maintenant la position officielle devait être qu’il ne devait plus y avoir d’installations dans les territoires arabes. On peut supposer, qu’il s’agissait d’un positionnement hypocrite de la part des USA, pendant qu’ils apportaient leur soutien militaire, économique et diplomatique à la création de nouvelles installations il soutenaient une position officielle opposée d’un point de vue rhétorique à ce cours des choses. Maintenant la politique officielle a changé en faveur des installations jusqu’au moment où les USA détermineront unilatéralement que “le processus de paix” a progressé suffisamment, ce qui signifie pour l’essentiel, qu’elles seront indéfiniment avalisées. Pas plus il n’a été pris note de ce que au mois de décembre l’administration Bush a modifié, dans l’Assemblée Générale des Nations Unies, la position des États Unis sur un point important. Jusqu’à ce moment la maison Blanche avait avalisé les résolutions du Conseil de sécurité de 1968 s’opposant à l’annexion de Jérusalem par Israël, et ordonnant aux autorités israéliennes de mettre fin à toute initiative destinée à prendre possession de Jérusalem est et d’agrandir Jérusalem, qui aujourd’hui en une zone énorme. Officiellement les États Unis toujours s’étaient opposés à cette expansion, bien sûr d’une manière hypocrite.
Cependant, en décembre dernier l’administration Bush appuie cette politique en opérant un changement assez abrupte par rapport à sa position antérieure et d’une manière significative comme on en voit aucun exemple dans l’histoire diplomatique des USA. Il est significatif, en soi même, qu’un changement de cette envergure n’ait pas été perçu aux Etats-Unis. Pourtant, quand un tel changement a eu lieu, il est passé presque inaperçu. Dans le passé les États-Unis mettaient leur veto aux efforts européens d’implanter une inspection internationale dans les territoires occupés – une initiative qui cherchait à réduire les violentes confrontations politiques de la région. Les États Unis ont saboté les réunions programmées en décembre 2001 à Gènes, quand il était tenté d’élaborer la convention de Gênes, et pendant que les autres parties contractantes se réunissaient, les États Unis refusèrent de participer à la réunion qui fut bloquée. Non seulement ils sabotèrent la conférence mais ils déclarèrent que Sharon était un homme de paix et soutinrent sa politique répressive. Alors que tout laissait voir que les États Unis impulsaient une politique plus dure sur les territoires occupés, on concédait aux Palestiniens un statut formel – et vide de sens- d’”État” de la région. On peut supposer que ceci serait surement présenté comme une grande victoire démocratique, le triomphe de la paix et de la liberté, et tout ce qui d’habitude se dit en pareille circonstance. Ils montèrent une immense opération de relations publiques et ils essayèrent de présenter la nouvelle politique sous cet emballage mais la réalité ne semblait pas très encourageante.

Atilio A. Boron : J’ai deux questions à vous poser dans ce sens. Une est sur le futur des Nations Unies. Un article récent d’ Henry Kissinger, reproduit par la presse argentine, disait que le multilatéralisme était terminé et que le monde avait a accepter les conditions qui résultaient de la supériorité absolue des forces armées nord américaines aboutissant à ce que l’ancien ordre international était terminé. Quelle est votre analyse sur le futur système des Nations Unies et des accords internationaux ?

Chomsky : Bon, vous savez, il s’agit d’une formule plus effrontée de politiques qui s’inscrivent dans la même ligne que toujours.
L’unilatéralisme a toujours existé et Henry Kissinger le sait parfaitement. C’est quelque chose qui vient de plus loin. Je veux dire : Est ce qu’il y a eu une approbation de l’invasion nord américaine au Viet Nam, il y a quarante ans ? En réalité le thème n’a jamais pu être inscrit sur l’agenda des Nations Unies. L’ONU et quasiment tous les pays s’opposaient violemment aux opérations US au Viet nam, mais la question jamais n’a pu apparaître et être soumis à la discussion parce que tous savaient que si une telle chose arrivait les Nations Unies seraient purement et simplement démantelées par les USA. Quand la Cour Internationale de Justice a condamné Washington pour ses attaques au Nicaragua, la réponse officielle de l’administration Reagan -qui,j’insiste, correspond aux mêmes gens actuellement au pouvoir- la réponse officielle quand il rejeta la juridiction de la Cour Internationale fut que si les autres nations n’étaient pas d’accord avec nous autres pourtant nous nous réservions le droit de déterminer ce qui relève de la juridiction intérieure des États Unis. Je suis en train de citer textuellement. Dans ce cas il s’agissait d’une agression contre le Nicaragua. Il sera difficile de trouver un unilatéralisme plus extrême que celui-ci. Et les élites nord américaines l’acceptèrent, et l’applaudirent, en réalité l’affaire fut rapidement oubliée. Dans un de vos proches voyages aux États Unis parlez avec vos collègues dans un quelconque département de sciences Politique et vous trouverez des gens qui jamais n’ont entendu parler de cela. Cela fut complétement rayé de la scène. C’est la raison pour laquelle les Etats Unis apportèrent leur veto aux résolutions du Conseil de Sécurité en appui de la décision de la Cour et exhortant tous les pays à approuver la législation internationale. Ceci est un unilatéralisme sous sa forme la plus extrême et il remonte à encore plus loin dans le temps.

Juste après la crise des missiles d’octobre 1962, laquelle pratiquement conduisit le monde près d’une guerre nucléaire totale, l’administration Kennedy a repris ses activités terroristes et sa guerre économique contre Cuba, laquelle fut à l’origine de la crise. Dean Acheson, un respectable homme d’État, conseiller de Kennedy, appartenant à l’aile libérale nord américaine, prononça un important discours à la Société Nord Américaine de Droit International qui énonce dans ses lignes principales les contenus de la doctrine Bush de septembre 2002. Ce qu’il dit est qu’il n’y a aucune “controverse légale” qui peut surgir dans le cas d’une réponse nord américaine à un défi à son “pouvoir, position et prestige” Rien ne peut être plus extrême que cela. La différence avec septembre 2002 est qu’au lieu que ce soit une politique opératoire au cas par cas, elle s’est convertie en la doctrine officielle du gouvernement nord américain. Là est la différence. Les Nations Unies perdirent de leur importance dans la mesure où les USA les empêchèrent de fonctionner. C’est pour cela que, depuis les mesures de 1960, quand les Nations Unies s’étaient transformées vers plus d’indépendance, à cause de la décolonisation et de l’entrée d’autres pays issus de la seconde guerre mondiale, les États Unis devinrent le pays qui opposa le plus son veto à beaucoup de résolution du Conseil de Sécurité sur une ample série de questions- la grande Bretagne fut le second- et aucun autre pays n’approche de près. Ceci a fait que les Nations Unis ne purent agir effectivement. Ceci revenait à dire que ” ou vous faites ce que nous décidons ou nous le piétinons par derrière”.
Actuellement c’est beaucoup plus éhonté. Le seul mérite de ce qu’a dit Kissinger est de reconnaître qu’aujourd’hui nous affirmons la politique que nous menons.

Atilio A. Boron : Très bien. Ceci est ma dernière question. Quel est l’impact de la guerre d’Irak sur les libertés publiques des États Unis ? Nous avons entendu des histoires très préoccupantes comme celles des bibliothécaires qui seraient forcés d’indiquer les noms des gens qui empruntent des livres considérés comme subversifs ? Quel est le véritable impact de la guerre dans la politique intérieure et dans la vie quotidienne des États Unis ?

Chomsky : Ces choses sont arrivées mais je pense qu’elles ne sont pas spécifiquement à mettre en relation avec la guerre en Irak.
Administration de Bush, je me permets de le répéter, est formée non par des conservateurs mais par des gouvernants réactionnaires. Ceux-ci veulent un État très puissant, énorme et violent et qui force à obéissance et à la soumission la population. Il s’agit d’un type de mentalité quasi fasciste, comme toile de fond, et à cause de cela il est en train de saper les droits civils de multiple manière. Ceci est un de leurs objectifs de longue portée, et il veulent agir rapidement parce il existe aux États Unis une tradition très forte de protection des droits civils. Le cas d’espionnage que vous commentez en relation avec les bibliothèque est un pas de plus dans cette direction. Ceux ci- revendiquent aussi le droit du gouvernement à détenir un citoyen des États-Unis sans charge- et sans accès à un avocat, ni à sa famille- et à le maintenir en détention indéfiniment.
Ceci, en plus, a été avalisé par la Cour, en cas d’atrocité. Mais maintenant ils ont une nouvelle proposition, dans les occasions dénommées ” “Patriot Two”, un document de quatre vingt pages produit par le Département de la Justice et que quelqu’un a bien laissé filtrer dans la presse pour sa publication. A la suite de ceci furent publiés quelques articles de professeurs de droit qui se sentaient outragés par le contenu du dit document. Celui-ci jusqu’à maintenant reste à l’état d’ébauche, mais à plus d’un il conviendrait l’imposer aussi secrètement qu’il se peut. Ces propositions permettent au trésorier général, par exemple, de priver de la citoyenneté nord américaine quelque individu que ce soit suspect d’être impliqué dans des actes de quelque forme que ce soit qui pourrait être préjudiciables aux intérêts nord américains. On peut dire que tout ceci va beaucoup plus loin que quoique ce soit observable dans une quelconque société démocratique. Un professeur de Droit de l’Université de New York a écrit que cette administration évidement tentera, dans la mesure de ses possibilités, d’éliminer ou diminuer d’une manière significative les droits civils des citoyens. Ceci va de pair avec ses politiques réactionnaires, qui se manifestent dans la vie internationale, l’économie, la vie sociale et aussi dans la vie politique.

Atilio A. Boron : Bien. Ce fut un grand plaisir de pouvoir faire arriver vos paroles au public argentin . je vous remercie beaucoup pour cet entretien et j’espère que nous resterons en contact dans cette bataille non achevée pour la paix et la démocratie dans le monde.

Chomsky : Surement nous le serons.
© Noam Chomsky


Traduit par Danielle Bleitrach pour Le Grand Soir


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