[2008] Le capitalisme ne peut pas se terminer parce qu’il n’a jamais commencé

Noam Chomsky interviewé par Simone Bruno

Retour Znet, 13 octobre 2008 Imprimer

Face au débat qui se tient aujourd’hui sur la crise actuelle, nous voulions connaître la version qu’en fait une des voix états-uniennes les plus éminentes de l’analyse et de la critique de son pays et du monde, Noam Chomsky.

Pour le célèbre linguiste, les politiques de dérégulation financière ont rendu le krach inévitable. Si l’ère néolibérale semble sur le point de se refermer, les réformes envisagées ne changeront rien à la structure du capitalisme. La contestation s’organise bien en Amérique du Sud, mais elle devrait encore s’étendre et gagner en force pour bousculer l’ordre établi.

Question : Je voudrais que nous parlions de la crise actuelle. Comment expliquer que beaucoup de gens l’ont vu arriver, mais que ceux qui ont la charge des gouvernements et des économies n’étaient pas préparés ?

Réponse de Noam Chomsky : Les bases pour la crise sont prévisibles. Un facteur constitutif de la libéralisation financière est qu’elle aura des crises fréquentes et profondes. De fait, depuis que la libéralisation financière a été instituée, depuis près de 35 ans, il s’est établi une tendance à augmenter la régularité des crises, et des crises chaque fois plus profondes. Les raisons en sont intrinsèques et comprises : elle ont à voir fondamentalement avec les bien connues inefficacités des marchés. Ainsi, par exemple, si vous et moi faisons une transaction, disons que vous me vendez une voiture, nous pouvons faire un bon négoce pour nous-mêmes, mais nous ne considérons pas l’effet sur les autres. Si je vous achète une voiture, la combustion d’essence augmente, la contamination augmente, la congestion augmente, etc… Mais nous ne comptons pas ces effets. Cela est ce que les économistes appellent les externalités [1], et ils ne comptent pas dans le calcul du marché.

Ces externalités peuvent être énormes. Dans le cas des institutions financières, elles sont particulièrement importantes. La tâche d’une institution financière est de prendre des risques. Si c’est une institution financière bien dirigée, disons Goldman Sachs, elle considèrera les risques pour elle-même, mais les mots cruciaux ici sont « pour elle-même ». Goldman Sachs ne considère pas les risques systémiques, les risques pour l’ensemble du système, quand elle a une perte substantielle. Et cela signifie que ces risques sont sous-évalués. Il se prend plus de risque qu’il ne devrait s’en prendre dans un système efficient qui prend en compte toutes les implications. C’est plus, la  fixation erronée des prix s’intègre simplement comme une partie du système de marché et de libéralisation des finances.

L’affaiblissement des mécanismes régulateurs dans un système de marché contient un risque de crise désastreux.
 — Noam Chomsky, Znet

Comme conséquence de la sous-évaluation des risques, ceux-ci deviennent plus présents, et, quand il y a des échecs, les coûts sont plus importants que prévu. Les crises deviennent plus fréquentes, en même temps qu’elles gagnent en importance à mesure que la portée et la gamme des transactions financières augmentent. Bien entendu, tout cela s’amplifie d’autant plus par le fanatisme des fondamentalistes du marché qui démontent l’appareil régulateur et permirent la création d’instruments financiers exotiques et opaques. C’est une classe de fondamentalisme irrationnel parce qu’il reste clair que l’affaiblissement des mécanismes régulateurs dans un système de marché contient un risque de crise désastreux. Il s’agit d’actes de non sens, opérés pour l’intérêt à court terme des maîtres de l’économie et de la société. Les corporations financières peuvent, et ont réussi à récolter d’énormes profits à court terme en entreprenant des actions extrêmement aventureuses, incluant spécialement la dérégulation, qui endommagent l’économie générale, et non elles-mêmes, du moins sur le court terme qui guide l’organisation actuelle.

Il était évident qu’une crise viendrait.
 — Noam Chomsky, Znet

On ne pouvait pas prévoir le moment exact d’une crise sévère, ni prévoir la portée exacte de la crise, mais qu’une crise viendrait était évident. De fait, il s’est enregistré des crises en série et répétées durant cette période de dérégulation croissante. Seulement jusqu’à maintenant elles n’avaient pas frappé si durement dans le centre de la richesse et du pouvoir, mais elles avaient frappé surtout dans le Tiers-Monde. Par exemple, il y a dix ans, deux économistes internationaux réputés, John Eatwell et Lance Taylor, ont écrit un livre – “Global Finance at Risk” – dans lequel ils ont décrit l’élégante logique élémentaire qui montre comment la libéralisation financière sous-estime le risque et conduit donc régulièrement à des risques systémiques et à des faillites, parfois importants. Ils ont aussi tracé les moyens de résoudre le problème, mais ils ont été ignorés parce que les décideurs des systèmes économiques et politiques, qui sont pratiquement les mêmes, étaient en train de s’enrichir personnellement sur des opérations à court terme.

Prenons le cas des États-Unis. C’est un pays riche, mais pour une majorité substantielle de la population, les 30 dernières années figurent probablement parmi les pires de l’histoire économique nord-américaine. Il n’y a pas eu de crises massives, de grandes guerres, de dépressions, etc. Cependant, les salaires réels sont pratiquement restés bloqués pour la majorité pendant 30 ans. Par l’économie internationale, l’effet de la libéralisation financière a été assez nocive. On pouvait lire dans la presse que les 30 dernières années, celle du néolibéralisme, ont montré une baisse majeure de la pauvreté dans l’histoire du monde, une énorme croissance, etc… et cela a quelque chose de certain, mais ce qui n’est pas dit est que la baisse de la pauvreté et la croissance se produisirent dans des pays qui n’appliquèrent pas les règles néolibérales. Les pays qui ont appliqué les règles néolibérales ont gravement souffert. C’est ainsi qu’il y eut une grande croissance en Asie de l’est, mais ils n’ont pas prêté attention aux règles. En Amérique latine, où les règles furent rigoureusement suivies, ce fut un désastre.

Q: Joseph Stiglitz a écrit récemment dans un article que cette ultime crise marquait la fin du néolibéralisme, et Chavez dans une conférence de presse a dit que la crise pourrait être la fin du capitalisme. Lequel croyez-vous le plus proche de la vérité ?

Le capitalisme ne peut pas se terminer, parce qu’il n’a jamais commencé. […] Nous vivons dans le capitalisme d’État.
 — Noam Chomsky, Znet

Premièrement, nous devons tenir compte que le capitalisme ne peut pas se terminer, parce qu’il n’a jamais commencé. Le système dans lequel nous vivons doit s’appeler capitalisme d’État, et pas seulement capitalisme. Dans le cas des États-Unis, l’économie s’appuie très fortement sur le secteur étatique. Pour le moment, il y a une grande angoisse sur la socialisation de l’économie, mais cela est seulement une vaste blague. L’économie avance, la haute technologie et autres ont toujours amplement dépendu du dynamique secteur de l’économie étatique. C’est le cas de l’informatique, Internet, les avions, la biotechnologie, quasiment tout ce qui se voit. Le MIT (Massachussets Institute of Technology), d’où je vous parle, est un espèce d’entonnoir dans lequel le public verse de l’argent, et de là sort la technologie du futur, qui sera abandonnée au pouvoir privé pour qu’il tire les profits. Alors nous avons un système de socialisation des coûts et des risques et la privatisation des bénéfices. Et cela pas seulement dans le système financier, mais dans toute l’économie avancée.

De manière que, pour le système financier, le résultat sera probablement plus comme le décrit Stiglitz. C’est la fin d’une certaine ère de libéralisation financière conduite par le fondamentalisme de marché. Le Wall Street Journal se lamente que Wall Street comme nous l’avons connu a disparu avec l’effondrement de la banque d’investissement. Et ils font quelques pas vers la régulation. Cela est sûr. Néanmoins, les propositions qui ont été formulées, pour étendues et sévères qu’elles soient, ne change pas la structure des institutions de base sous-jacentes. Il n’y a aucune menace pour le capitalisme d’État. Ses institutions fondamentales continueront à être les mêmes, peut-être même sans tremblement de terre. Elles peuvent se reprendre de plusieurs manières, quelques conglomérats pourraient en absorber d’autres, quelques-uns pourraient même être mollement semi-nationalisés, sans que cela affecte principalement le monopole privé de la prise de décisions. Néanmoins, comme vont les choses, les relations de propriété et la distribution du pouvoir et de la richesse ne changera pas significativement ; l’ère du néolibéralisme elle, en vigueur depuis quelques 35 années, sera certainement modifiée de manière significative.

Soit dit en passant, personne ne sait comment va évoluer cette crise. Chaque jour apporte de nouvelles surprises. Certains économistes sont en train de prévoir une véritable catastrophe. D’autres pensent qu’on peut y remédier avec un modeste bouleversement et une récession, qui sera probablement pire en Europe qu’au États-Unis. Mais personne ne sait.

Q: Pensez-vous que nous verrons quelque chose de semblable à la dépression, avec des gens sans travail faisant de longues files pour obtenir des aliments aux États-Unis et en Europe ? Et ainsi, verrons-nous une grande guerre pour remettre les économies debout, ou une thérapie de choc, ou sinon quoi ?

Je ne crois pas que la situation soit comparable avec la période de la grande dépression, bien qu’il y ait quelques similitudes avec cette époque. Les années 20 étaient aussi une période de spéculation sauvage et d’une énorme expansion du crédit et des prêts, avec la création d’une énorme concentration de richesse dans un très petit secteur de la population, et la destruction du mouvement syndical. Pour cela il y a des similitudes avec la période actuelle. Mais aussi il y a beaucoup de différences. Il existe un appareil de contrôle et de régulation beaucoup plus stable qui résulte du New Deal et, bien qu’il se soit érodé, une bonne partie en est restée intacte. De plus, il y a déjà la compréhension que les politiques, qui étaient vues comme extrêmement radicales dans la période du New Deal, sont aujourd’hui plus ou moins normales. Ainsi, par exemple, durant le récent débat présidentiel, John McCain, le candidat de l’aile droite, a proposé des mesures du type New Deal pour faire face à la crise immobilière, directement emprunté au New Deal Homeowners Refinancing Act, bien qu’en fait McCain l’ait en fait emprunté à Hilary Clinton qui l’avait emprunté au New Deal. C’est la pure vérité. Il y a donc la compréhension que le gouvernement doit assumer un rôle important dans la gestion de l’économie et de fait, ils en ont 50 années d’expérience pour les secteurs avancés de l’économie.

Beaucoup de ce qui se lit là-dessus est de la pure mythologie. Par exemple, nous lisons que la croyance passionnée de Reagan dans le miracle des marchés est maintenant attaquée, étant donné qu’on a assigné à Reagan le rôle du Grand Sacerdoce de la foi dans les marchés. En fait, Reagan a été le président le plus protectionniste de l’histoire économique des États-Unis de l’après-guerre. Il augmenta les barrières protectionnistes plus que tous ces prédécesseurs réunis. Il a convoqué le Pentagone pour développer des projets afin de former des administrateurs nord-américains retardés à des méthodes avancées de production japonaise. Il a opéré l’un des plus grands sauvetages bancaires de l’histoire nord-américaine, et a conformé un conglomérat basé sur l’État afin d’essayer de revitaliser l’industrie des semi-conducteurs. De fait, il croyait en un gouvernement puissant, intervenant radicalement dans l’économie. Quand je dis « Reagan », je me réfère à son administration ; ce que lui croyait sur tout cela, s’il croyait quelque chose, réellement nous ne le savons pas, et ce n’est pas très important.

Il y a beaucoup de mythologie que nous devons démonter.
 — Noam Chomsky, Znet

Il y a beaucoup de mythologie que nous devons démonter, ce qui se dit de la grande croissance et de la réduction de la pauvreté inclus. Au sein même des États-Unis, dans la mesure où les règles néolibérales s’appliqueraient, elles seraient assez nuisibles pour la majorité de la population. Regardant plus loin que la mythologie, nous pouvons percevoir qu’une économie capitaliste d’État qui, particulièrement depuis la seconde guerre mondiale, a très fortement dépendu du secteur étatique, revient maintenant à dépendre de l’État pour diriger le système financier qui s’effondre.

Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de signal pour qu’il se produise quelque chose de semblable à l’effondrement de 1929.

Q: Alors, ne considérez vous pas que nous nous dirigeons vers un changement de l’ordre mondial ?

Bon, il y a des changements très significatifs dans l’ordre mondial et cette crise peut-être y contribuera. Mais ils sont en chemin depuis quelque temps déjà. Un des plus grands changements dans l’ordre mondial, nous sommes en train de le voir maintenant en Amérique latine. On dit que c’est l’arrière-cour des États-Unis et qu’il y a longtemps que les États-Unis la dirige. Mais cela est en train de changer. Il y a à peine quelques semaines, au milieu de Septembre, on a pu voir une illustration très forte de cela. Le 15 Septembre a eu lieu une réunion de UNASUR, la Union de Naciones Suramericanas, où se rendirent tous les gouvernements sud-américains, Colombie incluse, le favori des États-Unis. Elle a eu lieu à Santiago, Chili, autre favori des États-Unis. Il est sorti de cette réunion une déclaration très forte en soutien à Evo Morales de Bolivie, et au rejet des éléments quasi-sécessionnistes dans ce pays, qui comptent l’appui des États-Unis.

Ce fut tellement important que la presse des États-Unis ne le rapporta pas.
 — Noam Chomsky, Znet

Il y a une lutte très significative en Bolivie. La majorité indigène de la population a rejoint l’arène politique pour la première fois en 500 ans, a mené à bien une élection démocratique impressionnante, et a pris le pouvoir. Cette course a horrifié le gouvernement des États-Unis, qui est fermement opposé à toute démocratie du peuple à moins qu’elle ne s’épanouisse dans la bonne direction. Et cela a particulièrement provoqué l’hostilité des groupes dirigeants traditionnels, l’élite minoritaire qui est essentiellement blanche et européanisée, qui avait toujours dirigé le pays et qui bien entendu ne voulaient pas d’une société démocratique dans laquelle le contrôle des ressources et de la politique générale sera exercé par le majorité en fonction de ses besoins. Les élites se mobilisent pour l’autonomie et peut-être la sécession, arrivant à des niveaux élevés de violence, avec l’évidente autorisation des États-Unis. Mais les républiques sud-américaines ont assumé une position ferme, en soutenant le gouvernement démocratique. La déclaration a été lue par la présidente du Chili Bachelet, une favorite de l’Occident. Evo Morales a répondu en remerciant les présidents de leur soutien, et également en signalant, correctement, que c’était la première fois en 500 ans que l’Amérique latine avait pris sa destin entre ses propres mains, sans interférence de l’Europe ni, surtout, des États-Unis. Cela est un symbole d’un changement très significatif qui est en cours, parfois appeler la marée rose. Ce fut tellement important que la presse des États-Unis ne le rapporta pas. Il y a une phrase par-ci, une par-là dans la presse qui note que quelque chose s’est passé, mais ils suppriment totalement le contenu et l’importance de ce qui s’est passé.

Cela est une partie d’un processus à long terme, dans lequel l’Amérique du sud a commencé à surpasser ses énormes problèmes internes et aussi sa subordination à l’Occident, principalement aux États-Unis. L’Amérique du sud est aussi en train de diversifier ses relations avec le monde. Le Brésil a des relations chaque fois plus importantes avec l’Afrique du sud et l’Inde, et particulièrement la Chine, qui est chaque fois plus impliquée avec des investissements et des échanges avec les pays latino-américains.  Ce sont des processus extrêmement importants, qui commencent maintenant à arriver en Amérique centrale. Le Honduras, par exemple, est la classique république bananière. Ce fut le lieu de base pour les guerres de terreur de Reagan perpétrées dans la région et a été totalement subordonné aux États-Unis. Mais le Honduras s’est récemment joint à l’ALBA, la Alternativa Bolivariana para los pueblos de America, basée au Venezuela. C’est un petit pas, mais il n’en est pas moins significatif.

Q: Pensez-vous que ces tendances en Amérique du sud, comme l’ALBA, UNASUR et les grands évènements au Vénézuela et en Bolivie et dans d’autres pays, pourraient être affectées par une crise économique de la dimension que nous affrontons aujourd’hui ?

R: Bon, ils seront affectés par la crise, mais pour le moment, pas autant que l’Europe et les États-Unis. Si on regarde la bourse au Brésil, elle s’est effondrée très rapidement, mais les banques brésiliennes ne sont pas en faillite. De même en Asie, les bourses baissent fortement, mais les gouvernements ne prennent pas le contrôle des banques, comme cela se passe en Angleterre et aux États-Unis, et dans une bonne partie de l’Europe. Ces régions, Amérique du sud et Asie, se sont d’une certaine manière isolées des calamités des marchés financiers. Ce qui a déchaîné la crise actuelle furent les prêts subprime pour actifs construits sur du sable, et ceux-ci, clairement, sont dans les mains des États-Unis, bien qu’apparemment, la moitié se trouvent dans les banques européennes. Le fait de posséder des actifs toxiques basés sur des hypothèques les a très rapidement impliqués dans ces évènements — et en plus ils ont leurs propres crises du logement, particulièrement la Grande Bretagne et l’Espagne —. L’Asie et l’Amérique latine ont été beaucoup moins exposées, pour avoir maintenu des stratégies de crédit beaucoup plus précautionneuses, particulièrement depuis l’échec néolibéral de 1997-98. De fait, une grande banque japonaise, Mitsubishi UFG, vient d’acheter une partie substantielle de Morgan Stanley, aux États-Unis. Alors il ne semble pas, jusqu’à maintenant, que ni l’Asie, ni l’Amérique latine seront affectées aussi gravement que les États-Unis et l’Europe.

Q: Pensez-vous qu’il y aurait une grande différence entre Obama et McCain comme président  pour des sujets comme le Traité de Libre Echange et le Plan Colombie ? Parce qu’en Colombie, où je vis, on peut sentir que le président et l’establishment sont quelque peu inquiets face à une élection d’Obama. Je sais que vous avez la sensation qu’Obama est comme une feuille vierge ; mais pensez-vous qu’il y aura une différence ?

En effet, Obama s’est présenté plus ou moins comme une feuille vierge. Mais il n’y a pas de motif à ce que l’establishment colombien s’inquiète de son élection. Le Plan Colombie est la politique de Clinton. Et il y a beaucoup de raisons de supposer qu’Obama sera un autre Clinton. Il est assez imprécis, d’ailleurs. Mais quand il explicite ses politiques, elles ressemblent beaucoup à des politiques centristes, comme Clinton, qui modela le Plan Colombie, militarisa le conflit, etc.

Q: J’ai parfois la sensation que les deux mandats de Bush se passèrent dans un contexte de changement de l’ordre mondial, essayant de maintenir le pouvoir avec l’utilisation de la force, et qu’en échange Obama pourrait représenter le bon côté pour renégocier l’ordre mondial. Qu’en pensez-vous ?

Les États-Unis sont une société dirigée par les entreprises, c’est un État de parti unique, avec deux factions, les Démocrates et les Républicains.
 — Noam Chomsky, Znet

R: Rappelez-vous que le spectre politique aux États-Unis est assez étroit. C’est une société dirigée par les entreprises, à la base, c’est un État de parti unique, avec deux factions, les Démocrates et les Républicains. Les factions ont quelques différences, et celles-ci sont parfois significatives. Mais le spectre est assez étroit. L’administration Bush, cependant, se situait assez au-delà de la fin du spectre, avec des nationalistes radicaux extrêmes, croyants extrêmes au pouvoir de l’État, à la violence à l’extérieur, à une importante dépense gouvernementale. De fait, ils étaient tellement hors du spectre qu’ils ont été âprement critiqués, même par une partie du courant principal, depuis les premiers temps.

Qui que ce soit qui assume le mandat, il est probable qu’il va déplacer l’échiquier politique plus vers le centre du spectre, Obama dans une plus grande mesure peut-être. Alors je dirais que dans le cas d’Obama, il y aura quelque chose comme une renaissance des années Clinton, adaptée bien sûr aux circonstances changeantes. Dans le cas de McCain, cependant, c’est assez difficile de le prédire. Il est téméraire. Personne ne sait ce qu’il ferait…

Q: En effet, il semble assez dangereux…

R: Très dangereux, surtout dans un pays comme les États-Unis, avec tellement de pouvoir. Il ne s’agit pas du Luxembourg, après tout. McCain est extrêmement imprévisible. La candidate à la vice-présidence, Sarah Palin, est issue d’un mouvement extrémiste radical (au sens général), avec par exemple le créationnisme — vous savez, le monde a été créé par Dieu il y a 10 000 ans, etc. Si quelqu’un comme ça était en lice pour un poste élevé au Luxembourg, cela serait comique. Mais quand cela arrive dans le pays le plus riche et le plus puissant du monde, c’est dangereux…

Q: Maintenant que nous arrivons à la fin de la globalisation néolibérale, existe-t-il la possibilité de quelque chose de réellement nouveau, une bonne globalisation ?

Il y a des opportunités pour un changement réel, mais jusqu’où elles iront, cela dépend des gens, de ce que nous sommes disposés à entreprendre.
 — Noam Chomsky, Znet

Je pense que les perspectives sont bien meilleures que ce qu’elles ont été par le passé. Le pouvoir est toujours extraordinairement concentré, mais il y a des changements, à mesure que l’économie internationale se fait plus diverse et plus complexe. Le Sud devient plus indépendant. Mais si on regarde les États-Unis, même avec tout le mal que Bush a fait, ils continuent à être l’économie homogène la plus grande, avec le marché interne le plus grand, la force militaire la plus forte et technologiquement la plus avancée, avec des dépenses annuelles comparables à celles du reste du monde réunies, et avec une multitude de bases militaires à travers le monde. Celles-là sont des sources de continuité, même quand l’ordre néolibéral est en train de s’éroder aussi bien aux États-Unis qu’en Europe et internationalement, à mesure que croit l’opposition à cet ordre. Alors, il y a des opportunités pour un changement réel, mais jusqu’où elles iront, cela dépend des gens, de ce que nous sommes disposés à entreprendre.

© Noam Chomsky


[1] NdT : on parle d’externalité quand la décision de production ou de consommation d’un agent économique a un
impact sur la situation d’autres personnes sans que cela donne lieu à une transaction économique. Les externalités
peuvent être négatives, comme dans les exemples donnés par Chomsky (embouteillage, pollution, etc.). Mais il existe
aussi des externalités positives.


Traduit par Julien Michel pour socio13.wordpress.com.


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