[2008] La vision de Bush : la ruine

Par Noam Chomsky

Retour Khaleej Times (Dubaï), 1er juin 2008 Imprimer

Au milieu du mois de mai, le Président Bush a voyagé au Moyen Orient pour asseoir plus fermement sa mission dans cette partie du monde qui a été le centre premier de toutes les attentions de sa présidence.

Le voyage avait deux destinations principales, chacune d’elles choisie pour célébrer un anniversaire important. Israël : le 60e anniversaire de sa fondation et de sa reconnaissance par les États-Unis. Et l’Arabie saoudite : le 75e anniversaire de la reconnaissance par les États-Unis du royaume récemment fondé. Ces choix prennent sens à lumière de l’histoire et du caractère constant de la politique des États-Unis : le contrôle du pétrole et l’appui aux acolytes qui les aident à maintenir ledit contrôle.

Néanmoins, il y eut une omission qui ne passa pas inaperçu à la population de la zone. Si Bush célébra bien la fondation d’Israël, il n’a pas reconnu — ni encore moins commémoré —  l’événement parallèle d’il y a 60 ans : la destruction de la Palestine, la Nakba, comme les Palestiniens appellent les événements qui les privèrent de leurs terres.

Pendant ses trois jours à Jérusalem, le président a participé avec enthousiasme à de pompeuses célébrations et il s’est cru obligé d’aller à Masada, un lieu semi-sacré du nationalisme juif. Mais il n’a pas visité le siège de l’autorité Palestinienne à Ramallah, ni la cité de Gaza, ni un seul camp de réfugiés, ni la cité de Qalqilya, étranglée par le mur de la Séparation que s’est converti en un véritable mur de l’Appropriation grâce aux programmes illégaux israéliens d’installation et de développement, que Bush a entériné officiellement, en étant le premier président à le faire.

Il a poursuivi, en excluant évidemment un quelconque contact avec les dirigeants et députés du Hamas — élus dans les uniques élections libres du monde arabe —, beaucoup d’entre eux étant dans les prisons israéliennes sans aucune perspective de jugement. Les prétextes pour une telle conduite résistent à peine à la plus minime analyse. Comme elle ne résiste pas plus devant le fait que le Hamas a réclamé à plusieurs reprise un accord qui reconnaisse les deux État, selon le consensus international que les États-Unis et Israël ont été pratiquement les seuls au monde à refuser, durant plus de trente ans et qu’ils continuent à repousser.

Bush a permis que le président palestinien favori des USA, Mahmoud Abbas, participe à des réunions en Egypte avec certains dirigeants régionaux. La dernière visite de Bush en Arabie Saoudite avait eu lieu en janvier. Dans les deux voyages il a tenté sans succès d’entraîner le royaume saoudien dans l’alliance anti-Iran qu’il est en train de forger. Il ne s’agit pas d’un point mineur, en tenant compte de la préoccupation des dirigeants sunnites face à la « vague chiite » et l’influence croissante de l’Iran normalement désignée comme « agressive ».

Pour les dirigeants saoudiens, le compromis avec l’Iran peut être préférable à la confrontation. Et même si leur opinion publique est marginalisée, elle ne peut être totalement ignorée. Dans une récente enquête auprès des saoudiens, Bush était situé au-dessus d’Oussama Ben Laden dans la catégorie « très défavorable » et plus du double au-dessus du président iranien  Ahmadinejad et de Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah, l’allié chiite de l’Iran au Liban.

Les relations États-Unis-Arabie Saoudite datent de la reconnaissance du royaume en 1933, non sans lien avec le fait que la même année la Standard Oil de Californie avait obtenu une concession de pétrole et que les géologues nord-américains avaient commencé à explorer ce qui apparu être les réserves de pétrole les plus grandes du monde.

Les États-Unis s’efforcèrent sans retard de s’en assurer le contrôle, une étape importante du processus au terme duquel les États-Unis prirent la relève de la Grande Bretagne à la domination du monde, qui fut peu à peu à la fin réduit à la condition « d’allié junior », comme s’en plaignit le Ministre Britannique des affaires extérieures, incapable de contrer « l’impérialisme économique des intérêts des entreprises de l’Amérique du Nord, qui est très actif sous le déguisement d’un internationalisme bénévole et paternel » et « en train de nous expulser ».

La robuste alliance États-Unis- Israël nouée sous sa forme actuelle en 1967, quand Israël obtient des États-Unis la grande faveur de détruire le principal centre du nationalisme laïc arabe, l’Egypte de Nasser, en sauvant en même temps les dirigeants saoudiens de la menace d’un nationalisme laÏc. Les stratèges étasuniens havaient reconnu dix ans auparavant que « le corollaire logique » de l’opposition nord-américaine au nationalisme arabe « radical » (ou indépendant) devrait être « d’appuyer Israël comme unique pouvoir pro-européen fort qui restait dans le Moyen orient ».

Les investissements des entreprises étasuniennes dans l’industrie high-tech israélienne augmentèrent considérablement, parmi eux Intel, Hewlett Packard, Microsoft, Warren Buffett et d’autres, joints aux grands investissements du Japon et de l’Inde, devenant dans ce dernier cas une des facettes de la croissante alliance stratégique États-Unis- Israël-Inde.

Pour être exacts il y a d’autres faits sous-jacents dans la relation États-Unis-Israël. Dans Jérusalem, Bush a invoqué « les liens du livre », la foi « partagée par les chrétiens comme lui-même et les juifs », selon une information de la presse australienne, mais apparemment non partagée par les musulmans, y compris les arabes chrétiens, comme ceux de Belen, actuellement expulsés de Jérusalem occupé, à des kilomètres plus loin, par les projets de construction illégales israéliens.

La Gazette Saoudienne a condamné vertement l’audace de Bush d’appeler Israël « la terre du peuple élu », la terminologie des faucons israéliens. La Gazette a ajouté que « le type particulier de dégénérescence morale de Bush est apparu pleinement quand il a mentionné seulement en passant un état palestinien dans sa vision de la région en 60 ans ».

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi l’option choisie par Bush privilégie les relations avec Israël et l’Arabie Saoudite, avec une brève référence à l’Egypte, dans le même temps que, exceptée dans quelques phrases rituelles, il a nié les Palestiniens et leur misérable situation.

Il n’est pas nécessaire de s’attarder à penser que les élections présidentielles ont quelque chose à voir avec la justice, les droits de l’homme ou la vision de la « promotion de la démocratie » qui lui emplirent l’âme tout de suite comme les prétextes de l’invasion de l’Irak se sont désormais écroulés.

Il ne s’agit pas de cela, mais que les élections aboutissent à la conformité à un principe général observé avec une remarquable constance : les droits seront reconnus selon les prestations fournies au pouvoir.

Les palestiniens sont pauvres, sont faibles, ils sont dispersés et sont ennemis. De ce fait il résulte qu’ils n’ont pas de droits. A contrario, l’Arabie saoudite a des ressources énergétiques incomparables, l’Egypte est le plus grand Etat arabe et Israël est un riche pays occidental et le siège du pouvoir régional, avec des forces armées et aériennes les plus importantes et les plus avancées technologiquement qu’un quelconque pays de l’OTAN (excepté son patron), en plus de centaines d’armes nucléaires et d’une économie avancée et amplement militarisée, étroitement liée aux États-Unis.

Les lignes de la mission choisie sont de ce fait totalement prévisibles.

© Noam Chomsky


Traduit par Danielle Bleitrach pour socio13.wordpress.com.


Retour

Laisser un commentaire