Par Noam Chomsky
La Jornada de Mexico, 5 janvier 2010
Barack Obama est le quatrième président américain à gagner le prix Nobel de la Paix et il rejoint ses prédécesseurs dans cette longue tradition de “pacification” qui depuis toujours, a servi les intérêts états-uniens.
Les quatre présidents primés ont laissé leur empreinte sur “notre petite province lointaine, qui n’a jamais fait de mal à personne” comme le secrétaire à la Guerre, Henry L. Stimson, appelait les Amériques en 1945.
Face à la position du gouvernement Obama quant aux “élections” au Honduras de novembre dernier, il convient de rappeler quelques éléments historiques.
Théodore Roosevelt
Au cours de son second mandat en tant que président, Theodore Roosevelt a déclaré que “l’expansion des peuples de sang blanc ou européens au cours des quatre derniers siècles s’est traduite par des bénéfices durables pour les peuples qui existaient déjà sur les terres où s’est déroulée cette expansion” (malgré tout ce que peuvent penser les afro-américains, les philippins et autres “bénéficiaires”)
Par conséquent, il était “inévitable et en grande partie souhaitable pour l’humanité tout entière que le peuple étasunien termine vainqueur face aux mexicains et conquière la moitié du Mexique.” puisqu’il “était hors de question que les (texans) se soumettent à la suprématie d’une race inférieure”. Utiliser la diplomatie des flottes militaires pour ravir les terres de Panama et de Colombie et y construire un canal constitua un autre cadeau pour l’humanité.
Woodrow Wilson
Woodrow Wilson fut le plus honnête des présidents récompensé par le prix Nobel, et probablement le pire pour l’Amérique Latine. Son invasion d’Haïti en 1915 a tué des milliers de personnes, a quasiment réinstauré l’esclavage et à laisser une large part du pays en ruines.
Pour prouver son amour de la démocratie, Wilson a ordonné à ses Marines de mitrailler le Parlement haïtien, en représailles au refus d’approuver une législation progressiste qui permettait aux entreprises étasuniennes d’acheter le pays caribéen. Wilson remédia au problème lorsque les Haïtiens adoptèrent une Constitution dictée par les Etats-Unis, rédigée avec le pistolet des marines sur la tempe. Cet effort sera “bénéfique pour Haïti” assura alors aux captifs le Département d’Etat. Wilson a également envahit la République Dominicaine, pour garantir son bien-être. Cette nation et Haïti resteront sous le commandement de polices violentes. Des décennies de torture, violence marqueront la doctrine de politique étrangère étasunienne.
Jimmy Carter
Pour le président Jimmy Carter, les droits humains étaient “l’âme de notre politique étrangère”. Robert Pastor, conseiller en Sécurité Nationale pour l’Amérique Latine expliqua qu’il fallait faire une différence importante entre les droits et la politique. Fait regrettable, l’administration étatsunienne dût soutenir le régime du dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza, et quand cette politique se révéla impossible à poursuivre, elle maintint une force spéciale entrainée aux Etats Unis, même si celle-ci perpétuera ensuite des massacres contre la population “d’une brutalité équivalente à celle que les nations réservent à leurs ennemis” selon les propos du même fonctionnaire, lesquelles firent quelques 40 000 morts.
Pour Pastor, la raison est élémentaire : “Les Etats Unis ne voulaient pas contrôler le Nicaragua ni aucun autre pays de la région, mais ne souhaitaient pas non plus que les événements leur échappent. Ils voulaient que les nicaraguayens agissent de manière indépendante, sauf si cela pouvait atteindre les intérêts des Etats Unis”.
Barack Obama
Le président Barack Obama a éloigné les États Unis de presque toute l’Amérique Latine et de l’Europe en validant le coup d’Etat militaire qui mit un terme à la démocratie hondurienne en juin 2009.
Les émeutes qui suivirent ont, pour le New York Times reflété “les abyssales et croissantes divisions politiques et socio-économiques. (…)” pour la “petite classe sociale aisée”. Le président hondurien Manuel Zelaya était devenu une menace pour ce que cette classe appelle la “démocratie” mais qui en réalité est le gouvernement des “forces patronales et politiques les plus puissantes du pays”.
Zelaya a pris des mesures extrêmement dangereuses comme l’augmentation du salaire minimum dans un pays où 60% de la population vit dans la pauvreté, il devait donc s’en aller.
Les États-Unis ont été pratiquement la seule nation à reconnaitre les “élections” (dont est sorti victorieux Pepe Lobo) tenues sous l’égide d’un gouvernement militaire et qui furent “une grande célébration de la démocratie” selon l’ambassadeur d’Obama au Honduras, Hugo Llorens.
L’appui aux élections permet également de garantir aux États-Unis l’usage pérenne de la base aérienne de Palmerola, située en territoire hondurien, dont la valeur pour l’armée étasunienne augmente à mesure où elle se voit expulsée de la majeure partie des pays d’Amérique Latine.
Après les élections, Lewis Anselem, représentant d’Obama devant l’Organisation des États Américains (OEA) a conseillé aux États latino-américains d’accepter le coup militaire et d’appuyer les États-Unis : “le monde réel, ce n’est pas le réalisme magique”.
Obama a ouvert la brèche en appuyant le coup militaire. Le gouvernement étasunien finance l’Institut International Républicain (IRI) et l’Institut National pour la Démocratie (NDI) qui déclarent défendre la démocratie.
L’IRI appuie régulièrement les coups d’Etat militaires pour renverser des gouvernements élus comme celui survenu au Venezuela en 2002 et en Haïti en 2004. Le NDI s’était jusqu’alors retenu. Au Honduras, pour la première fois, cet institut a accepté d’être observateur des élections organisées par le régime de facto, à la différence de l’OEA et de l’ONU, qui continuent de vivre dans le monde du réalisme magique.
A cause de l’étroite relation qu’entretient le Pentagone avec l’armée hondurienne, tout comme l’énorme influence économique étatsunienne dans ce pays d’Amérique Centrale, il aurait été très simple pour Obama de s’unir aux efforts des latino-américains et des européens pour défendre la démocratie au Honduras.
Mais Obama a choisi la politique traditionnelle.
Dans son histoire des relations hémisphériques, l’académicien britannique Gordon Connell-Smith écrit : “Alors qu’ils tentent de faire croire au mythe qu’ils agissent en faveur de la démocratie représentative en Amérique Latine, les Etats-Unis ont des intérêts importants qui vont justement dans la direction opposée et qui utilisent la démocratie “comme un simple procédé, spécialement quand se tiennent des élections qui le plus souvent sont une farce”.
Une démocratie fonctionnelle peut répondre aux préoccupations du peuple, alors que “les États Unis se soucient plus de réunir les conditions les plus favorables pour leurs investissements privés à l’étranger”
Il faut une bonne dose de ce que l’on appelle parfois “ignorance intentionnelle” pour ne pas voir ces faits.
Il faut donc maintenir soigneusement cette cécité si l’on a pour désir que la violence d’État suive son cours et joue son rôle. Toujours en faveur de l’humanité, comme nous l’a rappelé Obama une fois encore dans son discours de réception du prix Nobel.
© Noam Chomsky
Traduit par Grégoire Souchay pour www.larevolucionvive.org.ve