[2007] Accord Nucléaire Inde/USA : faire dérailler un accord

Par Noam Chomsky

Retour Kaleej times (Dubaï), 7 octobre 2007 Imprimer

Les états dotés de l’arme nucléaire sont des états criminels. Ils ont comme obligation légale, confirmée par le Tribunal International, de respecter l’Article 6 du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP), qui les engage à poursuivre de bonne foi des négociations visant à l’élimination totale des armes nucléaires. Aucun des États nucléaires ne l’a respecté.

Les États-Unis font partie des principaux contrevenants, en particulier l’administration Bush, qui a même déclaré qu’ils n’étaient pas soumis à l’article 6.

Le 27 juillet, Washington a conclu un accord avec l’Inde qui enfreint la partie centrale du Traité de Non- prolifération et qui entraîne une opposition forte dans les deux pays. L’Inde, tout comme Israël et le Pakistan (mais pas l’Iran), n’est pas signataire du TNP, et elle a développé des armes nucléaires en dehors du traité. Dans ce nouvel accord, le gouvernement Bush approuve et facilite de façon frappante ce comportement criminel. L’accord transgresse la loi américaine et contourne le Groupe des Fournisseurs du Nucléaire, les 45 nations qui ont établi des lois strictes pour diminuer le danger de prolifération des armes nucléaires.

Daryl Kimball, directeur exécutif de l’Association de Contrôle des Armes, observe que l’accord n’exclut pas vraiment les essais nucléaires indiens et « incroyablement, … engage Washington à aider New Delhi à obtenir l’approvisionnement en combustible venant d’autres pays même si l’Inde reprend ses essais. ». Il autorise aussi l’Inde à « réserver une partie de son approvisionnement domestique pour la production de bombes ». Toutes ces phases sont une violation directe des accords internationaux de non-prolifération.

L’accord entre L’Inde et les États-Unis a des chances de pousser d’autres pays à violer les règles de la même façon. Il a été rapporté que le Pakistan construit un réacteur visant à la production de plutonium pour les armes nucléaires débutant ainsi une phase plus avancée de conception d’armes. Israël, la superpuissance nucléaire régionale, a fait pression sur le Congrès pour obtenir des privilèges similaires aux privilèges accordés à l’Inde et s’est rapproché du Groupe des Fournisseurs du Nucléaire avec des demandes d’exonérations vis à vis de ces règles. Depuis, la France, la Russie et l’Australie cherchent à conclure des accords avec l’Inde comme ceux mis en place entre la Chine et le Pakistan ce qui n’est guère surprenant maintenant que la superpuissance mondiale a ouvert sa porte.

L’accord entre l’Inde et les États-Unis combine motifs militaires et commerciaux. Spécialiste des armes nucléaires, Gary Milhollin illustre le témoignage de la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice devant le Congrès en déclarant que l’accord a été « constitué en gardant fermement en tête les intérêts du secteur privé », spécialement ceux des entreprises centrées sur les engins, les réacteurs et les avions militaires, insiste Milhollin. En portant atteinte aux barrières protégeant contre une guerre nucléaire, ajoute-t-il, l’accord n’augmente pas seulement les tensions régionales, il « serait aussi susceptible d’avancer la date du jour où une explosion nucléaire détruirait une ville américaine ». Le message de Washington est le suivant : « les contrôles sur l’exportation sont moins importants aux yeux des États-Unis que l’argent » – ce sont des gains pour les entreprises américaines – peu importe la menace potentielle. Kimball signale que le gouvernement américain accorde à l’Inde « des termes de commerce nucléaire plus favorables que ceux accordés aux états qui ont adopté toutes les obligations et responsabilités » du TNP. Pour la plus grande partie du monde il est difficile de ne pas percevoir le cynisme régnant. Washington récompense des alliés et des clients qui ignorent complètement les règles du TNP, alors qu’il menace l’Iran de guerre, pays qui n’est pas connu pour avoir transgressé le TNP, malgré une provocation extrême : les États-Unis ont occupé deux des voisins de l’Iran et ont ouvertement cherché à renverser le régime iranien depuis qu’il s’est dégagé du contrôle américain en 1979.

Au cours de ces dernières années, l’Inde et le Pakistan ont parcouru de grands pas vers la décrispation politique entre les deux pays. Les contacts directs entre les gens ont augmenté et les gouvernements sont en négociations sur de nombreuses questions non résolues qui divisent les deux pays. Ces tendances prometteuses pourraient bien être effacées par l’accord entre l’Inde et les États-Unis. Un des moyens de construire une relation de confiance dans la région étant la création d’un tunnel transportant du gaz depuis l’Iran à travers le Pakistan jusqu’à l’Inde. Le « gazoduc de la paix » lierait la région et amènerait des possibilités pour une plus ample intégration vers la paix.

Le gazoduc, et l’espoir qu’il entraîne, pourrait devenir une victime de l’accord entre l’Inde et les États-Unis, car il est vu par Washington comme une mesure permettant d’isoler son ennemi iranien en offrant à l’Inde la puissance nucléaire en échange du gaz iranien – alors que réellement l’Inde gagnerait peu en comparaison de ce que l’Iran pourrait lui fournir.

L’accord Indo-américain se poursuit selon le modèle de Washington qui prend toutes les mesures visant à isoler l’Iran. En 2006, le Congrès américain a voté la loi de Hyde qui exige spécialement du gouvernement américain qu’il assure la participation complète et active de l’Inde aux efforts des États-Unis : dissuader, isoler et si nécessaire, sanctionner et réprimer l’Iran dans ses mesures visant à l’acquisition d’armes de destruction massive.”

Notons que la grande majorité des américains – et des iraniens – sont favorables à la conversion de la région entière en une zone libre d’armes nucléaires, englobant l’Iran et l’Israël. On peut aussi rappeler la Résolution 687 du 3 avril 1991, à laquelle Washington se rapporte régulièrement lorsqu’il recherche une justification à son invasion de l’Irak. Elle revendique « l’établissement dans le Moyen Orient d’une zone libre d’armes de destruction massive et de tous missiles facilitant leur distribution. »

En clair, les moyens de pallier les crises actuelles ne manquent pas.

L’accord Indo-Américain mérite d’être fermement écarté. La menace d’une guerre nucléaire est extrêmement sérieuse, et grandissante, et ceci s’explique en partie par le fait que les états nucléaires – menés par les États-Unis – refusent simplement de respecter leurs obligations ou les transgressent de façon significative, ce dernier effort étant un pas supplémentaire vers le désastre.

Le congrès américain a une chance d’intervenir sur cet accord après que celui-ci aura été examiné par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique et par le Groupe des Fournisseurs Nucléaires. Le congrès pourrait, reflétant ainsi le ras-le-bol des citoyens envers le jeu de force du nucléaire, rejeter l’accord. Le meilleur moyen d’aller de l’avant est de poursuivre vers la nécessité de désarmement nucléaire total, en reconnaissant que l’enjeu principal est la survie de l’espèce.

© Noam Chomsky


Traduit par La Guerre Tue.


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