[2007] Guillotiner Gaza

Par Noam Chomsky

Retour Information Clearing House, 30 juillet 2007 Imprimer

La mort d’une nation est un événement rare et sombre. Mais la vision d’une Palestine unifiée et indépendante menace de devenir une autre conséquence négative d’une guerre civile Hamas-Fatah, promue par Israël et son allié protecteur les États-Unis.

Le chaos du mois dernier peut marquer le commencement de la fin de l’Autorité Palestinienne. Ce pourrait ne pas être un développement tout à fait malheureux pour les Palestiniens, étant donné les projets Américano-Israéliens de transformer cette Autorité en un simple régime collaborateur qui est en fait composé de partisans du rejet total d’un état indépendant.

Les événements de Gaza ont eu lieu dans un contexte en développement. En janvier 2006, les Palestiniens ont voté dans une élection soigneusement surveillée, reconnue par les observateurs internationaux comme ayant été libre et juste, en dépit des efforts Américano -Israéliens d’orienter l’élection vers leurs favoris, le Président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas et son parti du Fatah. Mais le Hamas a gagné une victoire étonnante.

La punition des Palestiniens pour le crime d’avoir voté de la mauvaise manière fut sévère. Avec le support américain, Israël a intensifié sa violence contre Gaza, a retenu des fonds qu’il était légalement obligé de transmettre à l’Autorité Palestinienne, a resserré son siège et a même coupé l’approvisionnement en eau de l’aride bande de Gaza.

Les États-Unis et Israël se sont assurés que le Hamas n’aurait pas une chance de réagir. Ils ont rejeté l’appel du Hamas pour un cessez-le-feu à long terme afin de permettre des négociations en faveur de l’instauration de deux états, sur la base d’un consensus international auquel Israël et les États-Unis se sont opposés, dans un isolement virtuel, pendant plus de 30 ans, avec des concessions rares et provisoires.

En attendant, Israël a intensifié ses programmes d’annexion, de démembrement et d’emprisonnement des frêles cantons palestiniens en Cisjordanie, toujours avec le support américain en dépit de plaintes mineures occasionnelles, accompagnées de clin d’oeil et d’aides financières pharaoniques.

Le pouvoir en place a une procédure standard pour renverser un gouvernement qui lui déplait : armer les militaires pour qu’ils fomentent un coup d’état. Israël et son allié américain ont donc aidé à armer et former le Fatah dans le but de gagner par la force ce qu’il a perdu par les urnes. Les États-Unis ont également encouragé Abbas à concentrer tout le pouvoir entre ses mains, un comportement approprié aux yeux des partisans de la dictature présidentielle de l’administration Bush.

La stratégie a fait long feu. En dépit de l’aide militaire, les forces du Fatah ont été défaites a Gaza le mois dernier au terme d’un violent conflit, que beaucoup d’observateurs sur place décrivent comme une frappe préemptive visant principalement les forces de sécurité du brutal homme fort du Fatah, Mohamed Dahlan. Israël et les États-Unis se sont rapidement arrangés pour retourner la situation à leur avantage. Ils ont maintenant un prétexte pour resserrer leur étranglement de Gaza.

«  Persister avec une telle approche dans les circonstances actuelles est en fait génocidaire, et risque de détruire toute une communauté palestinienne qui est une partie intégrale d’un ensemble ethnique » écrit l’universitaire spécialiste en droit international Richard Falk.

Ce scénario du pire peut se développer à moins que le Hamas rencontre les trois conditions imposées par la « communauté internationale » – un terme technique se rapportant au gouvernement américain et à tous ceux qui se joignent à lui. Pour qu’il soit autorisé aux Palestiniens de jeter un coup d’oeil hors des murs de leur cachot de Gaza, le Hamas doit reconnaître Israël, renoncer à la violence et accepter les anciens accords, en particulier, la feuille de route du quartette (États-Unis, Russie, Union Européenne et Nations Unies).

L’hypocrisie est sidérante. De manière évidente, les États-Unis et Israël ne reconnaissent pas la Palestine et ne renoncent pas à la violence. Et n’acceptent pas non plus les anciens accords. Tandis qu’Israël acceptait formellement la feuille de route, elle y attachait 14 réserves qui la vidaient de son contenu. Pour ne prendre que la première réserve, Israël a exigé, pour que le processus puisse débuter et se poursuivre, que les Palestiniens doivent se tenir pleinement tranquilles, éduquer leur population dans le sens de la paix, cesser le harcèlement, démanteler le Hamas et d’autres organisations, plus d’autres conditions ; et même si ces demandes pratiquement impossibles devaient être satisfaites, le cabinet israélien proclama que « la feuille de route ne devra pas déclarer qu’Israël devra cesser l’utilisation de la violence et le harcèlement contre les Palestiniens. »

Le rejet par Israël de la feuille de route, avec l’appui des USA, est inacceptable pour la vision qu’a l’occident de lui-même, il a été ainsi occulté. Les faits ont finalement été rendus publiques avec le livre de Jimmy Carter, Palestine : la Paix pas l’Apartheid, qui a reçu un torrent d’injures et des efforts désespérés pour le discréditer.

Alors qu’il est maintenant en mesure d’écraser Gaza, Israël peut également procéder, avec le support américain, a la mise en application de ses plans en Cisjordanie, comptant avoir la coopération tacite des chefs du Fatah qui seront récompensés de leur capitulation. Entre autres étapes, Israël a commencé à libérer les fonds – estimés à 600 millions de dollars – qu’il avait illégalement gelé en réaction aux élections de janvier 2006.

L’ex-premier ministre Tony Blair doit maintenant arriver à la rescousse. Pour l’analyste politique libanais Rami Khouri, « la nomination de Tony Blair en tant que délégué spécial pour la paix Israélo-Arabe est comparable au fait de nommer l’empereur Néron comme chef-pompier de Rome ». Blair est le délégué du quartette seulement par le nom. L’administration Bush a immédiatement indiqué clairement qu’il est le délégué de Washington, avec un mandat très limité. La secrétaire d’état Rice (et le Président Bush) garde unilatéralement la main sur questions importantes, alors que Blair ne sera autorisé qu’à traiter des problèmes de création d’une institution.

Quant au court terme, la meilleure hypothèse serait la solution des deux États, par consensus international. C’est toujours parfaitement possible. Elle est soutenue par pratiquement le monde entier, y compris la majorité de la population américaine. On en a été proche, lors du dernier mois de la présidence de Bill Clinton – l’unique écart américain significatif par rapport a leur extrême négativisme des 30 dernières années. En janvier 2001, les États-Unis ont appuyé les négociations de Taba, en Egypte, qui avaient presque réalisé un tel règlement avant qu’il ne soit rejeté par le premier ministre israélien Ehud Barak.

Lors de leur conférence de presse finale, les négociateurs de Taba ont exprimé l’espoir que s’ils avaient été autorisés à poursuivre leur travail commun, un règlement aurait pu avoir été atteint. Les années qui ont suivi ont vu beaucoup d’horreurs, mais des possibilités demeurent. Quant au scénario le plus probable, il ressemble péniblement au pire des scénarios, mais les affaires humaines ne sont pas prévisibles : trop de choses dépendent de la volonté et des choix effectués.

© Noam Chomsky


Traduit par K.


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